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fonctions ; en Prusse, ils sont les serviteurs de la couronne, et ils restent en charge aussi longtemps qu’ils possèdent sa confiance. Jamais le roi Guillaume, devenu empereur d’Allemagne, n’aurait consenti à se dépouiller de ce qu’il regarde comme sa plus précieuse prérogative. Il pense avoir fait toutes les concessions qu’on pouvait honnêtement lui demander ; il s’en tient là : sa gloire comme sa vieillesse le protègent contre les indiscrétions des parlementaires et des logiciens. — « Je vous ai fait assembler, disait Henri IV aux notables de Rouen, pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux. » — Et comme Gabrielle d’Estrées lui reprochait cet excès de condescendance : « Ventre saint-gris, il est vrai, répartit le roi, mais j’avais mon épée. » L’Allemagne est le pays où il y a le plus de parlemens, mais l’épée est toujours là. D’habitude, elle est polie, souvent même accorte, gracieuse, et elle déguise ses refus sous un ton d’aimable bonhomie ; mais elle n’abdique jamais, elle se réserve le dernier mot. C’est l’épée de Sadowa et de Sedan.

Les Anglais ont décidé que la royauté est la source déshonneurs et la trésorerie la source des affaires. L’empereur d’Allemagne et son chancelier entendent disposer des affaires aussi bien que des honneurs ; mais les libéraux en appellent. M. le docteur Jolly, pour en revenir à lui, leur représente qu’ils ont tort, qu’après tout l’empire allemand jouit des bienfaits du régime constitutionnel, puisque toutes les lois y sont votées par le Reichstag. Il les engage à se contenter de ce qu’on leur a donné, il les exhorte à abjurer leurs chimères. Il s’efforce de leur démontrer que le régime parlementaire est inconciliable non-seulement avec les prérogatives du souverain, mais avec l’esprit militaire, avec la situation qui a été faite à l’armée allemande, avec l’influence toute-puissante de la bureaucratie. Il remarque également que le parlementarisme ne prospère et ne fleurit que dans les pays où il y a deux partis et où ces deux partis s’accordent sur certains principes, tandis que dans le Reichstag il y a des socialistes, des Polonais, des guelfes, des ultramontains, des progressistes, des conservateurs à outrance et des conservateurs mitigés, des libéraux intransigeans et des libéraux accommodans, à l’eau de rose. Le moyen de former une majorité gouvernementale avec des partis si divisés, sans compter qu’à l’exception du centre catholique, ils sont rebelles à la discipline, enclins à chipoter, à discuter la consigne, à bourrer, à houspiller leurs chefs ? M. Jolly en conclut que les changemens désirés par les libéraux ne s’accompliront pas de si tôt, qu’avant cinquante ans au moins il ne saurait en être question.

Les libéraux pourraient lui répondre qu’on ne naît pas parlementaire, qu’on le devient, que c’est précisément par la pratique des affaires que les partis se forment à la discipline et acquièrent l’esprit