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plus là pour défendre les garanties et les avantages qu’il a stipulés lui-même en faveur des souverains confédérés, quand la marée montante du libéralisme unitaire emportera les digues qu’il lui opposait, on demandera au roi de Saxe, au roi de Bavière, au roi de Wurtemberg beaucoup de choses qu’il leur sera pénible d’accorder. Consentiront-ils généreusement à se réduire au rang de simples pairs ? Signeront-ils leur déchéance de leur propre main ? Selon toute apparence, il leur en coûterait moins de se démettre que de se soumettre. Et les libéraux en viendront peut-être à souhaiter leur démission, car les libéraux finiront par s’apercevoir que les petites couronnes sont souvent fort gênantes et que, pour établir l’unité de gouvernement dans un état fédératif, la première chose à faire est de supprimer les rois, les princes et les grands-ducs. Nous doutons que l’argumentation solide, mais un peu filandreuse de M. Jolly, les décide à renoncer à leurs visées ; toutefois il a raison de leur représenter que le régime parlementaire est bien difficile à installer en Allemagne. En vérité, il serait plus aisé d’y proclamer la république ; le malheur est que cette solution ne plairait pas à tout le monde. Que sera l’Allemagne dans cinquante ans ? Les destinées sont mystérieuses, et tout prophète, fût-il président de la haute cour des comptes, est sujet à caution.

M. Jolly a écrit sa brochure pour combattre les alarmistes et pour dire leur fait aux pessimistes. Cependant il est obligé de convenir que les institutions que s’est données l’empire allemand sont à la fois imparfaites et difficilement perfectibles, qu’il faut avoir un bon caractère pour s’en contenter, mais qu’on ne saurait les réformer sans tout remettre en question. Il convient aussi que, quand M. de Bismarck ne sera plus là, l’Allemagne se trouvera fort empêchée de le remplacer et aura beaucoup de peine à se passer de lui. « Après moi, le gâchis ! » disait un jour le roi Louis-Philippe. C’est précisément le gâchis qui, à tort ou à raison, fait peur à ces pessimistes dont M. Jolly cherche à relever le courage. Aussi s’accordent-ils tous à souhaiter que M. de Bismarck vive encore très longtemps. Il s’est plaint si souvent de sa santé que ses doléances n’excitent plus guère d’inquiétudes, A vrai dire, alors même qu’il se porte bien, lei illégalités de son humeur causent quelquefois du tracas à ceux qui l’entourent ; mais l’Allemagne s’y est accoutumée, et comme certain mari à qui sa femme reprochait de n’avoir pas assez d’égards pour ses nerfs, elle lui dirait volontiers : « Pardonnez-moi, j’ai beaucoup de respect pour vos nerfs ; depuis quinze ans au moins je vous en entends parler avec considération, ce sont pour moi d’anciennes connaissances, et nous finirons, eux et moi, par devenir bons amis. »


G. VALBERT.