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voulons savoir ce qui adviendra de nous, l’histoire, qui enseigne tout, est là pour nous le dire. Rappelons de ses profondeurs un des siècles qu’elle garde : écoutons revivre ce siècle dans les Mémoires écrits par un de ses enfans et comparons l’impression contemporaine à notre jugement, à nous qui sommes la postérité : que trouverons-nous de commun ? Le siècle est empli de luttes stériles, agité de ses passions, tout bruyant de gens et de choses qui lui font illusion ; il meurt, recule dans le passé ; le bruit tombe, les gens et les choses de peu s’évanouissent, les petits-fils regardent sans comprendre les portraits qu’on leur a laissés en les leur donnant pour très grands. Que reste-t-il alors ? Des humbles, des obscurs, qui font lentement leur ascension dans l’histoire et envahissent tout son ciel ; des inconnus, que les contemporains coudoyaient avec mépris, et qui se trouvent avoir révolutionné le monde, un moine qui écrivait dans une cellule, un patron de bateau qui courait la mer, un ouvrier qui assemblait des caractères d’imprimerie, un géomètre qui écoutait graviter les astres, un physicien qui regardait bouillir de l’eau. Voilà ceux que l’avenir salue pour ancêtres, après avoir fait litière des gros intérêts et des grosses vogues de l’époque, des superbes de huit jours. M. Renan a dit très finement : « L’homme de la société, avec ses dédains frivoles, passe presque toujours sans s’en apercevoir à côté de l’homme qui est en train de créer l’avenir ; ils ne sont pas du même monde ; or l’erreur commune des gens de la société est de croire que le monde qu’ils voient est le monde entier. » — On peut prévoir quels seront les noms placés le plus haut, quand ce travail de redressement se sera fait pour notre siècle ; on peut les prévoir, si l’on croit que la raison de vivre du monde est le progrès vers une plus grande quiétude morale, faite de science positive, assise sur la connaissance des origines et des lois universelles ; à ce compte, les noms d’aujourd’hui réservés à la vénération de l’avenir seront ceux d’un Cuvier, d’un Burnouf, d’un Mariette. Efforçons-nous de devancer le temps en les honorant ; et puisqu’il est de mode que la passion fasse cortège à tous les cercueils qui traversent la rue, sachons nous passionner pour une mémoire qui va sûrement à l’immortalité.

À cette place d’ailleurs, il n’était pas besoin de préambule pour parler de Mariette. La Revue a suivi pieusement cette résurrection de l’histoire qui se faisait depuis trente ans en Égypte à la voix du savant ; il y a peu d’années, M. Desjardins nous donnait sur lui une biographie émue et très complète. Il n’y aurait pas à la reprendre si la mort n’était venue, avec son dégagement d’horizon, sa liberté d’éloges et son de voir de justice. Ceux qui savent mieux diront ce