Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une enquête rigoureuse ; cette enquête l’amène à soupçonner, sous la variété des familles et des opinions humaines, un tronc unique, primordial, qui contenait en germe les idées, les traditions, les mythes différenciés plus tard à l’infini. Nos pauvres langues sont peut-être les seules coupables du chaos ; le beau symbole de Babel explique bien nos malentendus ; chaque mot nouveau, dévié par l’usage, a été le père d’une erreur. Si un philologue de génie reconstitue jamais le premier idiome, il retrouvera sans doute chez les premiers hommes le fonds commun de pensées et de croyances d’où sortirent, compliquées et obscurcies, toutes nos croyances et nos pensées. Elle se cache certainement dans quelque vallée de l’Asie, cette source limpide de raison divine qui a coulé tout d’abord dans l’homme quand il regarda la loi de vie agissant sur l’univers. Un progrès encore, et l’histoire, donnant la main aux sciences naturelles, proclamera avec elles l’unité, la continuité du souffle de vie dans les êtres, hommes ou choses ; elle aussi nous fera comprendre la large parole : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu : la lumière vraie qui éclaire tout homme venant en ce monde. »

Dans cette importante enquête sur les origines, l’archéologue est le grand ouvrier de l’histoire. D’ingrates et rudes études l’ont armé ; il doit connaître tout ce qu’on a su jusqu’à lui des anciennes civilisations, de leurs religions, de leurs langues perdues ; les idiomes modernes lui sont nécessaires pour suivre les travaux parallèles aux siens dans les publications des savans étrangers ; il ne peut ignorer aucune science, car le trait de lumière lui viendra souvent d’une indication astronomique ou géologique, d’un détail d’histoire naturelle ou d’ethnographie ; il doit posséder deux facultés souvent contradictoires, la divination et le sens critique. Une partie de sa vie s’usera à la recherche matérielle du document ; pour se procurer des élémens de travail, il devra braver les fatigues, les périls, les déceptions du chercheur d’or américain. Les documens une fois trouvés, le véritable labeur commence : il faut leur arracher leurs secrets à force de sagacité, en créant souvent de toutes pièces la langue et l’alphabet sur lesquels on opère, en forgeant au fur et à mesure tous les outils dont on se sert. La plus mince erreur, le moindre indice négligé, une minute d’inattention, suffiront pour stériliser de longs mois d’efforts acharnés ; ces efforts auront été souvent dépensés en pure perte sur un texte banal ; les premiers résultats seront contradictoires, désespérans ; il faudra répéter les épreuves à l’infini pour être autorisé à affirmer scientifiquement un système, une chronologie ; et le fruit de