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Où chercherons-nous ce qui demeure de lui ? Je ne sais quelle aura été la volonté des siens, mais je sais bien quel serait le vœu de tous les pèlerins en Égypte. S’il m’est jamais donné de revoir la nécropole de Saqqarah, je voudrais trouver, sur l’emplacement de la maison légendaire où il nous accueillait, un monument nouveau, commandant tous les autres, gardé par l’armée des sphinx. Le soir de la victoire, on ensevelit le soldat sur le champ de bataille. Mariette doit reposer là, au milieu de son peuple, dans la paix de son désert ; il doit y être, comme dit la Bible, celui qui veille dans l’amas des morts : In congerie mortuorum vigllabit. Il l’aura désiré, sans doute, à l’exemple de cette Égyptienne qui demandait dans son épitaphe à dormir « sous la brise, au bord du courant du Nil, qui rafraîchit le chagrin. »

Il ne restera plus à la France qu’un de voir envers son grand enfant. Si nous étions à ces jours de la Renaissance, où le premier souci de l’état fut d’honorer les serviteurs de l’idéal, un vaisseau serait déjà parti pour l’Égypte ; il rapporterait un bloc de ce granit de Syène où l’on taillait les dieux, de cette pierre rose, brûlée de soleil, la pierre qu’aimait Mariette et qu’il disait être la plus belle de toutes ; on la confierait à un artiste capable de fondre dans son œuvre la liberté de la figure moderne et quelque chose du style hiératique de Memphis : le maître y revivrait, assis dans la grave attitude des sages d’Égypte, les mains sur les genoux, la tête ployée sous le poids de la pensée, rude et puissant comme étaient ses pharaons et comme il était lui-même. On dresserait le monument à la porte de son musée du Louvre, entre les sphinx d’Apriès ; il garderait là ses premières conquêtes, il introduirait dans le temple ceux qui croient à sa science, il y appellerait du regard et de l’exemple ces jeunes recrues qu’il s’affligeait toujours de ne pas voir assez nombreuses ; et comme l’éloge est plus doux dans la langue qu’on aime, on devrait graver sur le socle le beau témoignage du vieux Ptah-Hotep : « Je suis sorti du monde ; j’y ai dit la vérité, amie de Dieu, chaque jour. » Ce qu’on écrivait, il y a quatre mille ans, sur le sépulcre de l’Égyptien, vous pouvez l’écrire sous le nom d’Auguste Mariette ; il l’a mérité.


EUGÈNE-MELCHIOR DE VOGUÉ.