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Déjà le pieux auteur d’Hermas pleure sur la décadence de son temps et appelle de ses vœux une réforme qui fasse de l’Église un couvent de saints et de saintes. Il y avait, en effet, quelque chose de peu conséquent dans l’espèce de quiétude où s’endormait l’église orthodoxe, dans cette morale tranquille à laquelle se réduisait de plus en plus l’œuvre de Jésus. On négligeait les prédictions si précises du fondateur sur la fin du monde présent et sur le règne messianique qui devait venir ensuite. L’apparition prochaine dans les nues était presque oubliée. Le désir du martyre, le goût du célibat, suites d’une telle croyance, s’affaiblissaient. On acceptait des relations avec un monde impur-, condamné à bientôt finir ; on pactisait avec la persécution, et l’on cherchait à y échapper à prix d’argent. Il était inévitable que les idées qui avaient formé le fond du christianisme naissant reparussent de temps en temps, au milieu de cet affaissement général, avec ce qu’elles avaient de sévère et d’effrayant. Le fanatisme, que mitigeait le bon sens orthodoxe, faisait des espèces d’éruptions, comme un volcan comprimé.


I

Le plus remarquable de ces retours fort naturels vers l’esprit apostolique fut celui qui se produisit en Phrygie, sous Marc-Aurèle[1]. Ce fut quelque chose de tout à fait analogue à ce que nous voyons se passer de notre temps, en Angleterre et en Amérique, chez les irvingiens et les saints des derniers jours. Des esprits simples et exaltés se crurent appelés à renouveler les prodiges de l’inspiration individuelle, en dehors des chaînes déjà lourdes de l’église et de l’épiscopat. Dire doctrine depuis longtemps répandue en Asie-Mineure, celle d’un Paraclet qui devait venir compléter l’œuvre de Jésus, ou, pour mieux dire, reprendre l’enseignement de Jésus, le rétablir dans sa vérité, le purger des altérations que les apôtres et les évêques y avaient introduites, une telle doctrine, dis-je, ouvrait la porte à toutes les innovations. L’église des saints était conçue comme toujours progressive et comme destinée à parcourir des degrés successifs de perfection. Le prophétisme passait pour la chose du monde la plus naturelle. Les sibyllistes, les prophètes de toute origine couraient les rues, et, malgré leurs grossiers artifices, trouvaient créance et accueil.

Quelques petites villes des plus tristes cantons de la Phrygie Brûlée, Tymium, Pépuze, dont le site même est inconnu[2] furent

  1. La date approximative de l’apparition du montanisme est l’an 167.
  2. Ces petites localités n’étalent pas loin d’Ouschak.