Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

construction des voies ferrées et pour exécuter des travaux d’utilité publique. La dette des divers états s’élevait à un milliard, et on ne pouvait évaluer à moins d’un milliard et demi les dettes des comtés et des villes ; les intérêts de cet énorme capital avaient cessé d’être payés ; les sommes immenses englouties dans la construction des chemins de fer étaient également improductives par suite de l’insuffisance du trafic. L’Ouest succombait donc sous le poids de ses dettes, il vendait mal ses produits, et il n’avait ni argent ni crédit. Un état de souffrance général avait donc succédé à une période de prospérité plus apparente que réelle ; et comme cette prospérité avait coïncidé avec la diffusion du papier-monnaie, la plupart des hommes de l’Ouest étaient imbus de cette idée fausse que la multiplication des signes monétaires, n’eussent-ils par eux-mêmes aucune valeur intrinsèque, doit avoir pour conséquence nécessaire l’abondance et le bon marché des capitaux. Tout le mal provenait donc, à leur avis, des efforts qui avaient été faits pour retirer de la circulation les greenbacks, c’est-à-dire les assignats émis par le gouvernement fédéral pendant la guerre. Ces tentatives étaient le résultat d’un calcul égoïste des capitalistes et des rentiers de l’Est, qui visaient à raréfier les capitaux pour faire hausser le prix de l’argent et augmenter leurs profits. Il suffisait, pour déjouer ces calculs, d’arrêter le retrait des assignats, et d’élargir la circulation en rendant cours à l’argent, qu’on avait démonétisé.

Telles étaient les idées qui avaient cours dans l’Ouest ; elles furent épousées avec ardeur par les démocrates du Sud. Les états du Sud étaient moins endettés que ceux de l’Ouest, parce qu’ayant cessé de payer aucun intérêt à leurs créanciers dès les premiers jours de la guerre civile, ils n’avaient plus trouvé de prêteurs au rétablissement de la paix ; mais ils souffraient également de la pénurie de l’argent, et ils croyaient avoir tout intérêt à faire cause commune avec l’Ouest dans les questions économiques pour reconquérir, avec l’aide de cet allié puissant, leur ancienne prépondérance politique. On concert s’établit donc aisément pour battre en brèche la mesure législative qui avait imposé au gouvernement fédéral l’obligation de reprendre, à partir du 1er janvier 1879, les paiemens en espèces et, par conséquent, fixé implicitement à la même date la cessation du cours forcé des assignats. On n’osa point demander tout d’abord le rappel d’un bill qui était dû à l’initiative du général Grant et dont la défense avait fait partie du programme républicain, — on se serait heurté à la majorité républicaine du sénat, — mais on tendit au même but par des voies détournées. Le ministre des finances, pendant l’année 1877, avait consacré les excédens budgétaires à retirer de la circulation les petites coupures