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même des banques de la Louisiane, dont l’intervention démontra à quel point le monde commercial était unanime sur cette question ; et une députation de banquiers s’établit en permanence à Washington pour combattre le projet de M. Bland.

Rien n’y fit : l’opinion se prononçait dans tout l’Ouest avec une force irrésistible : en outre, les propriétaires des mines d’argent qui avaient quelque peine à écouler le produit de leur extraction, et qui comptaient trouver dans le trésor fédéral un acquéreur régulier et d’une solvabilité incontestable, ne ménageaient point les sacrifices pour recruter des adhérens à la remonétisation de l’argent. L’opposition alla en s’affaiblissant : les républicains du sénat, abandonnés par leurs collègues de l’Ouest, s’estimèrent trop heureux de maintenir intact le bill relatif à la reprise des paiemens. en espèces, et bornèrent leurs efforts à introduire dans le bill Bland des amendemens qui en restreignaient la portée. Après trois mois de discussions passionnées, toutes les ressources de la stratégie parlementaire se trouvant épuisées, le bill fut voté à une majorité qui, dans chacune des deux chambres, excédait les deux tiers et qui en assurait ainsi l’adoption définitive. Néanmoins, le président, convaincu qu’il avait un de voir à remplir, n’hésita pas à user de son veto. Le message qu’il adressa, aux deux chambres motivait ce veto sur ce que la loi sanctionnait la violation des engagemens publics et privés, et sur ce qu’elle portait une grave atteinte au crédit public : les fonds fédéraux ayant été vendus contre de l’or à la condition qu’ils seraient remboursés en or, l’intention de les rembourser en argent ne pouvait manquer d’être considérée comme un manque de foi. Le défaut capital du bill était de ne contenir aucune disposition pour protéger éventuellement les créances préexistantes dans le cas où la nouvelle monnaie d’argent viendrait à avoir moins de valeur que la monnaie qui seule avait cours légal au moment où les dettes avaient été contractées. Le président déclarait donc ne pouvoir sanctionner un bill, qui autorisait la violation des obligations les plus sacrées, et il terminait en exprimant la conviction profonde que, si le pays devait retirer quelque, avantage du monnayage de l’argent, ce ne pouvait être qu’en frappant des dollars d’une valeur correspondante aux obligations à remplir vis-à-vis des créanciers.

Quelque justes et quelque sensées que fussent ces observations, le congrès ne s’arrêta point à les discuter : les deux chambres votèrent à nouveau le bill sans aucun débat ; deux heures et demie après la réception du message, le bill était renvoyé au président, voté à des majorités plus fortes qu’avant le veto, 196 voix contre 73 dans la chambre des représentai, et 46 voix contre 19 dans le