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surtout le seuil de la maison dont quelques pièces conservent intacte l’empreinte du passé et semblent prêtes à recevoir leurs hôtes d’autrefois, on ne saurait refuser à cette vieille demeure, comme aux souvenirs qu’elle rappelle, le charme et la mélancolique grandeur des choses qui ne sont plus.


II.

Lorsqu’à la fin de septembre 1790 une chaise de poste débarqua M. et Mme Necker dans la cour de Coppet, l’impression un peu triste qu’on éprouve toujours en pénétrant par un jour d’automne dans une habitation depuis longtemps inoccupée dut être singulièrement aggravée par leurs dispositions intérieures. M. Necker s’était vu vilipendé par ses adversaires, abandonné par ses amis, renié par le pays qu’il avait adopté. Mme Necker, de son côté, ne pouvait manquer de sentir douloureusement le contraste entre ce retour à Coppet et le premier séjour qu’elle y avait fait quelques années auparavant, alors qu’aux témoins de sa difficile jeunesse elle s’était montrée riche de tous les bienfaits du présent et de toutes les promesses de l’avenir. Aussi, à peine arrivés et installés, M. Necker dans un appartement qui regardait vers Genève, Mme Necker dans une grande et obscure chambre dont les fenêtres avaient vue sur le parc, s’étaient-ils appliqués tous deux à chercher les consolations que leur nature diverse comportait, M. Necker dans le travail, Mme Necker dans l’amitié.

En prenant la plume aussitôt après son arrivée à Coppet, M. Necker était obligé d’avouer « que le respect qu’il avait religieusement rendu à l’opinion publique s’était affaibli depuis qu’il l’avait vue soumise aux artifices des méchans et trembler devant les mêmes hommes qu’autrefois elle eût fait paraître à son tribunal pour les vouer à la honte et les marquer du sceau de sa réprobation. » C’était cependant à l’opinion publique qu’il s’adressait lorsque, dans son Essai sur l’administration de M. Necker par lui-même, il entreprenait la justification de sa conduite dans les circonstances difficiles qu’il venait de traverser. Aussi ne faut-il chercher dans cet Essai ni une histoire complète des premiers temps de la révolution, ni même un récit détaillé des actes de M. Necker. Mais je me permets de recommander la lecture de cet ouvrage un peu oublié à ceux qui mènent aujourd’hui la campagne de réaction historique contre la constituante. Ils auront la satisfaction d’y trouver, exprimées parfois sur un ton assez acerbe, la plupart des attaqués qu’ils dirigent aujourd’hui contre l’œuvre des législateurs de 89 et l’indication très sagace dès côtés fragiles de cette œuvre.