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Louis XVI ne répondit point à cette lettre, et, sans doute, livré tout entier aux tristesses et aux périls de sa situation, il n’eut guère la curiosité ni le temps de jeter un coup d’œil sur l’œuvre de son ancien ministre. Mais si quelques-unes des pages du livre passèrent sous ses yeux, il dut être touché du ton dont, à plusieurs reprises, M. Necker y parle de son ancien maître. Jamais, en effet, dans aucun des ouvrages qu’il a publiés soit avant, soit après la mort de Louis XVI, M. Necker n’a manqué une occasion de rendre témoignage en termes émus aux vertus, à la droiture, aux intentions patriotiques du prince qu’il avait servi ; jamais non plus il n’a laissé percer l’ombre d’un sentiment d’amertume, inspiré par le souvenir des préventions contre lesquelles il avait toujours eu à lutter, de l’abandon dont à deux reprises il avait été victime, et du peu de reconnaissance dont avaient été payés ses derniers efforts. Tel n’était pas toujours le ton dont on s’exprimait sur le compte de Louis XVI dans le monde des émigrés, et la différence entre les deux langages montrerait au besoin que les serviteurs les plus intransigeans (pour employer un mot à la mode) ne sont pas toujours les plus respectueux.

Tandis que M. Necker, encore dans la pleine vigueur de l’esprit, continuait de demander au travail les consolations qu’il ne refuse jamais, Mme Necker, plus jeune que son mari de plusieurs années, voyait au contraire lui échapper toutes les ressources auxquelles elle aurait pu s’adresser pour fortifier son courage. Avant même que les derniers événemens dont elle avait profondément ressenti le contrecoup eussent achevé de détruire sa santé déjà ébranlée, sa faiblesse croissante l’avait forcée à se retirer peu à peu du train du monde, et certaines réflexions qu’on trouve éparses dans ses œuvres montrent qu’elle n’avait pas laissé de ressentir la tristesse de cette vieillesse précoce : « Lorsqu’on est vieille, dit-elle quelque part, il faut travailler à se supporter soi-même, à plus forte raison à se faire supporter aux autres ; » et dans un autre endroit : « La vieillesse des femmes n’est supportable dans ce monde qu’autant qu’elles n’y remplissent point d’espace, qu’elles n’y font point de bruit, qu’elles ne demandent aucun service, qu’elles rendent tous ceux qui dépendent d’elles, et qu’elles ne se montrent que pour le bonheur des autres. Lorsqu’on est vieille et qu’on a rempli sa tâche sur la terre, il faut considérer comme assez bien employé le temps qu’on passe sans faire de fautes, sans ennui et sans douleurs. »

Ce qui devait encore aggraver le sentiment un peu triste exhalé dans ces lignes, c’est qu’à cette femme, dont l’amitié avait rempli la vie, une rigueur particulière de la destinée avait enlevé tous ceux qui, par leur attachement passionné, l’auraient aidée à traverser cette