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disparaître les dangers qui me faisoient craindre de perdre ma place ; mais j’ai été, comme vous le savez déjà, trompé dans mon attente. Tous mes efforts étant restés infructueux, il a bien fallu succomber, puisque la combinaison des choses rendoit ma chute nécessaire. Le roi ne m’a point parlé des dédommagemens qu’il juge convenables de me donner et encore moins des marques de satisfaction que j’ai peut-être mérité : pas un mot, ni pour ma pension, ni pour payer le loyer de ma maison, ni pour aucune justification. Mes amis me disent que tout s’arrangera si j’ai de la patience, et surtout si je ne donne aucune marque de mécontentement. J’ai suivi leurs conseils, mais je crois en même temps que ma présence en Suède devient de la plus urgente nécessité, car, selon la marche ordinaire de ce monde, les amis ont moins d’activité que n’en ont ceux qui s’occupent à nuire.


M. de Staël continuait en insistant sur les raisons qui rendaient nécessaire son départ pour la Suède, et il terminait en disant :


Vous avez eu la bonté de me dire, monsieur, dans votre dernière lettre, que je trouverois un asile près de vous. J’ai été touché jusqu’au fond de mon cœur de tout ce que cette offre renfermoit de sensible pour moi. J’ose vous assurer avec vérité que je préférerais à tout ce que le monde présente de plus séduisant de passer ma vie près du grand homme dont j’admire et aime également le génie et la vertu. Je n’aurois d’autre regret que de sentir à chaque instant que je ne pourrais rien faire pour son bonheur, tandis qu’il feroit tout pour le mien.


Cet asile que M. Necker offrait à son gendre, il aurait désiré également que sa fille en profitât. Mais Mme de Staël ne pouvait encore prendre son parti de quitter Paris. Il en coûtait trop à son amour passionné pour la France de paraître en ce moment suprême se désintéresser de ses destinées, à sa fierté de suivre l’exemple de ces fugitifs de la première heure, contre lesquels elle s’était élevée si fort, à son courage d’abandonner des amis auxquels elle pouvait encore être utile en leur offrant un asile sous le toit de l’ambassade de Suède, et en leur procurant des passeports qu’elle sollicitait pour eux comme pour des compatriotes de son mari. C’est à son séjour obstiné dans Paris que nous devons ces belles pages des Considérations sur la révolution française, où elle décrit si éloquemment la marche de la révolution et où, revenue des illusions de sa jeunesse sans en avoir abjuré les opinions généreuses, elle fait à chacun la part si équitable. Le spectacle auquel elle assistait avait singulièrement changé ses sentimens, et à l’irritation qu’elle ressentait autrefois contre les aristocrates, lorsqu’ils refusaient de prêter l’oreille aux argumens de M. Necker, avait