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pas seulement pour cause une répugnance toute physique et s’expliquait encore par un autre désir plus touchant, mais étrange encore chez une femme qui avait une foi si robuste dans l’immortalité de l’âme et qui croyait même à une sorte de communication mystérieuse des morts avec les vivans. Elle voulait avec non moins de passion que la dépouille de M. Necker, objet des mêmes soins que la sienne, fût un jour enfermée dans le même monument, afin que la mort ne parvînt pas à rompre une union qui avait été si étroite. Cette idée était née depuis longtemps dans son esprit, et j’en trouve la première trace dans une lettre qui n’est pas postérieure de plus de dix ans à son mariage. Après avoir, quoique d’une façon encore un peu vague, indiqué à son mari quels seraient ses désirs en cas de mort, elle ajoute ces mots : « Ne néglige pas ces détails, je t’en conjure ; fais exactement ce que j’ai dit. Peut-être mon âme errera-t elle autour de toi. Peut-être pourrai-je délicieusement jouir de ton exactitude à remplir les désirs de celle qui t’aime tant. Peut-être que si, dans une autre vie, j’étois susceptible de quelque peine, mon cœur, dont la mort n’auroit pu effacer ton image, s’affligeroit de ta négligence et souffrirait d’être moins aimé. » Mais lorsque la marche des années, les atteintes de l’âge, l’ébranlement de sa santé l’eurent pour ainsi dire rapprochée de la mort, cette idée devint une sorte d’obsession. Elle accumula, dans des notes préparées par elle, les détails et les précautions ; elle prescrivit les dispositions intérieures du monument qu’elle voulait faire élever dans le parc de Saint-Ouen et surtout elle multiplia les recommandations à son mari pour assurer le respect de ses dernières volontés. Parmi ces recommandations, j’en choisirai une sur le dos de laquelle était écrit : « Pour être ouvert pendant mon agonie ou aussitôt après ma mort » et qui commence ainsi :


Lis, mon cher ami, sans te troubler et avec une profonde attention, la tâche qui te reste à remplir ; ce corps qui te reste encore a besoin de tes soins et l’âme qui l’occupoit pourra peut-être encore se trouver souvent avec toi et jouir encore de ta tendresse.


Mme Necker entrait alors dans de minutieux détails sur les arrangemens qui seraient à prendre, sur la disposition intérieure du monument, la façon dont elle devait y être déposée, puis elle ajoutait :


Tu feras faire dans le mur une porte de fer dont toi seul auras la clef, porte qui servira à passer ton corps quand tu ne seras plus et à le porter sur le même lit pour mêler tes cendres avec les miennes, et