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rencontrer partout devant lui, à Varsovie comme à Pétersbourg, dans les administrations officielles chargées des affaires de Pologne, des fonctionnaires pour la plupart hostiles ou malveillans. En dehors de l’administration russe de Varsovie, il y avait encore à Saint-Pétersbourg un ministère de Pologne, et ce ministère qui, après l’application presque entière des nouveaux ukases, devait finir par être confié à Milutine, était alors aux mains d’un homme notoirement connu comme peu sympathique à l’œuvre de Milutine et de Tcherkasski.

Il est inutile de faire ressortir la complication de cette machine administrative dont les différens rouages, destinés sans doute à se contrôler mutuellement, ne faisaient guère que s’embarrasser et s’arrêter les uns les autres, si bien que toute l’administration russo-polonaise eût pu se résumer dans les trois mots : ordre, contre-ordre, désordre. Il est encore plus oiseux de montrer ce qu’avait d’équivoque, de pénible, d’irritant à la longue, la situation de Milutine, obligé de lutter jour par jour avec les instrumens mêmes dont il semblait devoir se servir. À Pétersbourg et plus encore à Varsovie, il lui fallut durant des mois et des années éviter les pièges incessamment tendus sous ses pas, défaire un à un les fils des trames subtiles patiemment ourdies par d’infatigables adversaires. Dans toute cette transformation administrative et économique de la Pologne, les autorités russes, officiellement chargées d’assurer la mise à exécution du nouvel ordre de choses, ressemblaient, par leur division et leur manque d’unité, à la Pénélope de la Fable, qui défaisait la nuit ce qu’elle avait fait le jour. On eût dit que le principal souci du vice-roi et du ministère de Pologne était de détruire dans l’ombre ce qu’avaient fait au soleil Milutine et Tcherkasski. Aussi l’application des ukases de 1864 et toute la réorganisation que Milutine et ses amis, non peut-être sans la naturelle présomption des esprits entreprenans, se flattaient d’accomplir en quelques mois, leur prit-elle des années et ne réussit-elle que grâce à des efforts surhumains d’énergie et de travail, si bien que Milutine se devait tuer à la peine.

Laissons-le nous décrire lui-même la besogne, les outils et les obstacles qui l’attendaient à son retour à Varsovie :


Varsovie (château Bruhl),7/19 mars 1864[1]

« … Un abîme de soucis ! Il faut tout organiser et installer, choses et gens, et distribuer tout le travail. Aujourd’hui, pas une minute de solitude. Quelque pénible que ce soit, ce serait plus

  1. Lettre à sa femme.