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propriétaires et des paysans[1]. Ces règlemens, d’un caractère visiblement provisoire, restaient souvent impuissans ou inefficaces dans la pratique ; les Polonais eux-mêmes se remettaient à chercher des combinaisons pour améliorer l’état matériel et moral des classes rurales, lorsque l’émancipation des serfs, accomplie en Russie, au milieu des luttes que l’on sait, vint naturellement remettre, pour le royaume, cette question à l’ordre du jour et en rendre la solution urgente.

La Pologne, où dès longtemps le servage était légalement aboli, qui, de plus, était encore en possession d’une autonomie restreinte et de lois particulières, la Pologne avait, comme les provinces baltiques, où l’émancipation remontait à l’empereur Alexandre Ier, échappé aux lois et statuts que les Milutine, les Tcherkasski, les Samarine et leurs amis avaient fait édicter en 1861 pour les paysans du reste de l’empire. Depuis la promulgation de la charte rurale du 19 février, qui avait assuré au moujik russe la propriété d’une partie du sol, avec la libre administration de sa commune, la position du paysan polonais était devenue trop manifestement inférieure à celle du paysan russe pour qu’à Varsovie même on ne se préoccupât point de faire disparaître ou d’atténuer une aussi fâcheuse inégalité. C’était là, on le comprend, une des questions agitées par les Polonais dans les trop courtes années de liberté relative qui précédèrent l’insurrection de 1863.

Sous l’impulsion d’un généreux et éclairé gentilhomme d’une des plus illustres familles de Pologne, le comte André Zamoïski, la Société d’agriculture de Varsovie tendait à réunir en faisceau toutes les forces intelligentes et économiques du pays. L’amélioration du sort des paysans fut le premier problème dont se préoccupa la société. Non contens de rechercher les moyens de supprimer la corvée et de la remplacer par un cens ou redevance en argent, les propriétaires polonais désireux de devenir les bienfaiteurs du peuple cherchaient à mettre la propriété foncière à la portée du paysan. Divers projets étaient à ce sujet mis en avant ; .on parlait d’une opération de rachat, au moyen d’annuités échelonnées sur une période plus ou moins longue ; on proposait de créer une banque qui, durant cette période de transition, eût servi d’intermédiaire entre le paysan et l’ancien seigneur ; on faisait répandre dans les campagnes et lire au prône des églises une circulaire,

  1. Ces inventaires avaient spécialement pour but de fixer la quantité de terres dont les propriétaires devaient laisser la jouissance aux paysans. A cet égard, ils servirent de point de départ aux lois agraires de 1864.