plus rêver et parler toute ma vie que montagnes, torrens, grottes et précipices. Vous connaissez ce beau pays, mais pas si bien que moi, j’en suis sûre, car beaucoup des merveilles que j’ai vues sont enfouies dans des chaînes de montagnes où les voitures et même les chevaux n’ont jamais pu pénétrer. Il faut marcher à pic des heures entières dans des gravas qui s’écroulent à tout instant et sur des roches aiguës où on laisse ses souliers et partie de ses pieds.
A Cauterets, on a une manière de gravir les rochers fort commode : deux hommes vous portent sur une chaise attachée à un brancard et sautent ainsi de roche en roche au-dessus de précipices sans fond avec une adresse, un aplomb et une promptitude qui vous rassurent pleinement et vous font braver tous les dangers ; mais comme ils sentent le bouc d’une lieue et que très souvent on meurt de froid après une ou deux heures de l’après-midi, surtout au haut des montagnes, j’aimais mieux marcher et je sautais comme eux d’une pierre à l’autre, tombant souvent et me meurtrissant les jambes, mais riant toujours de mes désastres et de ma maladresse. Au reste, je ne suis pas la seule femme qui fasse des actes de courage. Il semble que le séjour des Pyrénées inspire de l’audace aux plus timides, car les compagnes de mes expéditions en faisaient autant. Nous avons été à la fameuse cascade de Gavarnie, qui est la merveille des Pyrénées. Elle tombe d’un rocher de douze cents toises de haut et taillé à pic comme une muraille. Près de la cascade, on voit un pont de neige qu’à moins de toucher on ne peut croire l’ouvrage de la nature ; l’arche, qui a dix à douze pieds de haut, est parfaitement faite, et on croit voir des coups de truelle sur du plâtre ; plusieurs des personnes qui étaient avec nous (car on est toujours fort nombreux dans ces excursions) s’en sont retournées convaincues qu’elles venaient de voir un ouvrage de maçonnerie. Pour arriver à ce prodige et pour en revenir, nous avons fait douze lieues à cheval sur un sentier de trois pieds de large au bord d’un précipice qu’en certains endroits on appelle l’échelle et dont on ne voit pas le fond. Ce n’est pourtant pas là ce qu’il y a de plus dangereux, car les chevaux y sont accoutumés et passent à une ligne du bord sans broncher. Ce qui m’étonne bien davantage dans ces chevaux de montagne, c’est leur aplomb sur des escaliers de rochers qui ne présentent à leurs pieds que des pointes tranchantes et polies. J’en avais un fort laid, comme ils le sont tous, mais à qui j’ai fait faire des choses qu’on n’exigerait que d’une chèvre. Galoppant toujours dans les endroits les plus effrayans sans glisser ni faire un seul faux pas et sautant de roche en roche en descendant. J’avoue que je ne croyais pas que cela fût possible et que je ne me serais jamais cru le courage de me fier à lui avant que j’eusse éprouvé ses moyens.