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Sans le rigoureux maintien de ces onéreuses servitudes, sans les restrictions, apportées pour des motifs politiques analogues, à la libre disposition des propriétés[1], l’on pourrait dire que la situation agraire du royaume de Pologne est, depuis la crise de 1864, une des meilleures de l’Europe. Les distributions de terres faites aux paysans, en 1864, ont été complétées, en 1866, par de nouvelles allocations sur les domaines de la couronne ou les biens d’église. Durant les dix ou douze ans qui ont suivi la mise à exécution des ukases, les terres en culture se sont accrues de 550,000 hectares, la production des céréales a presque doublé et il en est à peu près de même du bétail[2]. Si les paysans surtout ont participé à ces progrès agricoles, la grande et la moyenne propriété n’y ont pas été étrangères. Maint domaine dont l’étendue a, par la loi de 1864, été réduite d’un tiers environ, a aujourd’hui une plus grande valeur et rapporte un plus grand revenu. Des trois tronçons de l’ancienne république, la Pologne russe est sans comparaison le plus prospère. Le progrès se manifeste par tous les signes extérieurs ; la population augmente rapidement et en même temps la durée moyenne de la vie s’allonge, tandis que décroît la criminalité. Devant de tels faits, on peut croire que, si une fin prématurée ne l’eût enlevé à la contemplation de ce spectacle, Milutine eût été orgueilleux de son œuvre. A tout prendre, en effet, le succès semble avoir été plus grand, plus incontestable on Pologne qu’en Russie. Une part de cette réussite doit bien revenir à la population polonaise, à son élasticité et à son énergie, mais peut-être aussi Milutine et ses amis diraient-ils que, s’ils paraissent avoir été plus heureux en Pologne, c’est qu’en dépit de tous les efforts faits pour les entraver, ils y ont eu les mains plus libres.


IV

Nous avons laissé N. Milutine à Varsovie, dressant péniblement les hommes qui devaient mettre à exécution les nouveaux règlemens. Quelques jours avant la Pâque orthodoxe, Nicolas Alexèiévitch pouvait expédier dans la campagne soixante de ses jeunes gens. On donna au départ de ce premier détachement une consécration religieuse.

« Le matin, écrivait Milutine[3], nous nous sommes tous rendus

  1. Nous voulons parler des lois qui interdisent de vendre à des juifs, et qui dans les provinces occidentales de l’empire ne permettent de vendre qu’à des Russes orthodoxes ou à des Allemands afin de diminuer les terres aux mains des Polonais.
  2. MM. Simonenko et Anoutchine, entre autres, ont publié a cet égard des études statistiques fort concluantes.
  3. Lettre à sa femme du 14/26 novembre 1864.