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M. Dumas voulait dire qu’il ne tiendrait qu’à lui de continuer à marcher par les chemins battus, de jeter une critique sincère dans le plus étrange embarras en la réduisant à n’invoquer contre la pièce que des objections qui porteraient du même coup contre quelque chef-d’œuvre accepté, reconnu, consacré, d’enlever enfin au hasard tout ce que lui peut enlever la connaissance des difficultés de l’art et des moyens de les tourner ; il avait raison. Nous n’irons pas jusqu’à prétendre qu’il ne dépendit que de M. Dumas de refaire un Père prodigue, où le Demi-Monde, ou la Dame aux Camélias. Nous ne descendons jamais deux fois dans le même fleuve, disait ce philosophe. C’est déjà beau de se continuer, mais on ne se recommence guère. Je veux du moins insister, comme sur un point essentiel, sur ce qu’il y a dans le théâtre de M. Dumas, et depuis la Dame aux camélias, et jusqu’à l’Étrangère, de raisonné, de délibéré, de systématique, d’artificiel, s’il vous plaît, ou de faux, si vous l’aimez mieux, — car il faut parler ici pour tous les goûts et que tout le monde convienne avec nous de la chose, — mais de voulu, et de fortement voulu. Voici tantôt vingt-cinq ans que M. Dumas se sert des moyens du théâtre, dont il à le maniement comme personne, pour faire tout autre chose que du théâtre, au sens où l’entendent encore aujourd’hui les débris de l’école de Scribe. A-t-il tort ? a-t-il raison ? Je crois au moins que l’on est injuste, et même un peu pédant, quand on prétend réduire les auteurs dramatiques, de leur vivant, au rôle d’amuseurs publics, eux, dans les œuvres de qui nous découvrons tant d’intentions, et de tant de portée, une fois, à la vérité, qu’ils sont morts. Voyez plutôt, pour ne pas prendre un plus illustre exemple, comment les historiens de la littérature, et même de la révolution, tous les jours, nous parlent de l’auteur du Mariage de Figaro. Et de fait, serait-ce une raison, parce que l’on est capable d’écrire le Mariage de Figaro, pour n’avoir pas le droit de dire son mot sur la liberté de la presse ? sur la question du mariage parce que l’on est M. Victorien Sardou ? sur la question du divorce parce que l’on est M. Alexandre Dumas ? Molière s’est peut-être abstenu de dire le sien, en plein théâtre, sur l’éducation des femmes ou sur le culte dû à Dieu, pour parler comme les prédicateurs, car Tartuffe ne va rien moins qu’à cela ? Ce n’est pas aujourd’hui le point : mais assurément, là et non ailleurs, dans la nature même de certaines préoccupations qui le hantent, comme dans sa manière, bien à lui, de les mettre à la scène, est la véritable originalité de M. Dumas, le secret de sa force et le fondement de son autorité.

C’est pourtant ce qu’il semble qu'à propos de la Princesse de Bagdad on ait, en général, tout simplement oublié. J’accorde ce que l’on voudra. Maltraitez donc la pièce, dites que l’intrigue en est étrange, que les caractères en sont invraisemblables, que le dialogue en est d’une violence qui va jusqu’à la brutalité. J’y souscris. Voulez-vous-même