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organisés dans un certain nombre de villes de l’Espagne en commémoration de la république. M. Canovas semblait donc n’avoir rien à craindre pour le moment. Il est cependant tombé au lendemain de ses succès de parlement, en dépit des votes de confiance qu’il a reçus. Comment est-il tombé ?

Une des causes de la récente révolution ministérielle de Madrid, c’est peut-être tout simplement que M. Canovas del Castillo avait trop duré. Son habileté et les circonstances ont fait de lui, dans ces dernières années, un ministre presque nécessaire. On ne méconnaissait ni sa supériorité ni son éloquence ; on l’accusait volontiers d’exercer une sorte de prépotence, d’absorber cette restauration qu’il avait dirigée dès ses premiers pas et qu’il pouvait maintenant compromettre en paraissant tout concentrer en lui, en prolongeant indéfiniment son règne ministériel. Sa position auprès du jeune roi lui-même pouvait devenir parfois embarrassante. D’un autre côté, il s’était formé par degrés autour de lui, dans le monde politique, dans le parlement, une opposition qui a pris le nom d’opposition libérale dynastique. Cette opposition n’était pas précisément menaçante par le nombre si l’on veut ; elle ne laissait pas d’être dangereuse, parce qu’elle ralliait tous les dissidens, parce qu’elle comptait, avec un chef parlementaire habile, M. Sagasta, un certain nombre de chefs militaires, le général Martinez Campos, le général Jovellar, le général Concha, c’est-à-dire des hommes qui sont attachés à la monarchie et dont quelques-uns ont la faveur du roi. Bref, sous dés apparences de force, les causes de faiblesse intime et les menaces ne manquaient pas pour le ministère. M. Canovas del Castillo avait certainement senti le danger ; il le voyait grossir, et c’est alors qu’il est allé résolument à une épreuve décisive en soulevant lui-même l’incident qui a tout précipité. Il s’agissait d’un plan de réorganisation financière et de règlement des dettes amortissables préparé par le ministère et soumis au roi avant d’être présenté aux cortès. Ce qu’auraient été cette réorganisation financière et ce règlement de la dette, il n’y a plus à s’en occuper pour le moment. Le point capital, c’est que le programme impliquait avant tout une question politique. L’exécution des mesures proposées supposait la permanence du ministère au pouvoir pendant dix-huit mois. Le rapport adressé au roi ressemblait un peu à une sommation. Ce qu’on demandait nettement, c’était un témoignage direct solennel de la confiance royale. Le procédé qu’a employé le président, du dernier cabinet de Madrid était, il faut l’avouer, assez extraordinaire : il disposait de l’avenir, il enchaînait la prérogative du roi en créant pour la circonstance, au moins pour un temps donné, une sorte d’inamovibilité ministérielle. Le roi a refusé ce qu’on lui demandait, il ne pouvait en vérité faire autrement, et il a été peut-être d’autant plus prompt à se décider qu’il n’était pas pris au dépourvu. M.