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seulement de la modérer par un sentiment de bonté et d’indulgence qui t’est naturel et qui te fera continuer tes bons offices, soit qu’il les accueille bien ou mal. S’il les méconnaît, ce sera par fausseté de jugement, jamais par vice de cœur. Si j’étais homme, avec la volonté que j’ai de le servir, je répondrais de lui. Mais, femme, ce que je saurais obtenir de lui devient presque nul par la différence de sexe, d’état et de mille autres choses qui viennent à la traverse de mes bons desseins. Entraves cruelles que mon amitié maudit, mais qu’elle respecte, parce qu’il n’est donné qu’à l’amour, tout faible et inférieur qu’il est à l’autre sentiment, de les rompre.


A Madame Dupin.


Nohant, 5 juillet 1827.

Pourquoi donc ne m’écrivez-vous pas, ma chère maman ? Êtes-vous malade ? Si cela était, je le saurais probablement, Hippolyte ou Clotilde me l’auraient écrit. Mais, depuis le 24 mars, pas un mot de vous. Vous m’oubliez tout à fait, et me ferez regretter de ne pas habiter Paris, si les absens ont si peu de part à votre souvenir. Je ne suis pas démonstrative, mais votre silence me peine et me fait mal plus que je ne saurais le dire.

Caroline est-elle toujours près de vous ? Ce serait du moins une consolation pour moi que de vous savoir heureuse et satisfaite. Je n’attribuerais cette absence de lettre à rien de fâcheux et j’en souffrirais seule. Mais que ne puis-je augurer de cette incertitude ? Hors une maladie, dont je serais certainement informée par quelqu’un, j’imagine tout. Il faut que vous ayez quelque chagrin. Mais quel chagrin vous force à me laisser ainsi dans l’inquiétude ? Hippolyte me mande que la famille Defos va partir pour Clermont, ne serez-vous pas tentée de l’accompagner ? Il y a longtemps que vous projetez ce voyage, et au retour, vous vous arrêteriez ici, ou bien nous vous verrions en Auvergne, où je vais passer quelques semaines, et nous reviendrions ensemble à Nohant. Si c’est là la surprise que vous me ménagez, je ne me plaindrai pas que vous me l’ayez fait trop longtems désirer.

Depuis que je ne vous ai écrit, je me suis assez bien portée, mais j’ai eu plusieurs accidens, où j’ai failli me tuer. Je serais morte sans un souvenir de vous, ma chère maman, et ce n’eût pas été un de mes moindres regrets à quitter la vie.

Je ne veux pas vous écrire plus longuement aujourd’hui. Je vous gronderais, je crois, et ce serait passablement ridicule. Il y a déjà longtemps que j’ai sur le cœur de vous reprocher votre paresse, et