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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/171

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offrait une prime de 60 livres. Les volontaires étaient d’abord dirigés sur Metz. Ils faisaient la route à pied, à cheval ou en voiture, s’arrêtaient à chaque étape, dans des auberges qu’on leur désignait à l’avance, où ils trouvaient des encouragemens et des secours. A Metz, à l’hôtel du Faisan, on leur fournissait les moyens de gagner Coblentz, Worms ou Manheim.

De Paris en Lorraine, ce n’était sur les chemins que bandes de déserteurs. Loin de dissimuler leur qualité, ils affectaient dans chaque ville qu’ils traversaient de faire sonner bien haut leurs espérances, et, si c’était un dimanche, d’aller à la messe des prêtres non assermentés. Leur nombre était considérable, manifeste l’impuissance de les arrêter tous ; on ne s’opposait pas à leur marche vers la frontière. Bientôt, il est vrai, sur les plaintes du maréchal de Luckner, qui redoutait à toute heure d’être attaqué par un corps d’émigrés, des ordres étaient donnés pour barrer la route aux déserteurs, pour surveiller les étrangers, soupçonnés presque tous d’être les agens de l’émigration; les patriotes d’Alsace et de Lorraine s’engageaient même à les retenir et à les garder jusqu’à ce que les Parisiens allassent les reprendre. Mais la rigueur de ces mesures ne désarmait pas l’audace des émigrés. On en rencontrait jusque dans les rues de Strasbourg, venus là pour assister à la parade.

Les officiers et les soldats raccolés pour le compte des armées royales du dehors n’étaient pas seuls à quitter la France. La société les suivait ; la noblesse imitait les princes et beaucoup de bourgeois, des petites gens, imitaient la noblesse. On émigrait par ton, par misère ou par peur. Une jeune femme, rencontrée dans une diligence par un agent secret du gouvernement et interrogée par lui, répondait : « Je suis couturière; ma clientèle est partie pour l’Allemagne; je me fais « émigrette » afin d’aller la retrouver. »

Il y avait des Français en Angleterre, en Espagne, en Suisse, en Sardaigne, en Italie, en Russie et même en Amérique; mais c’est à Coblentz que se rendaient tous ceux qui aspiraient à jouer un rôle, les politiques, les militaires, les usuriers, les fournisseurs, et avec eux les plus ardens amis du roi, convaincus qu’ils parviendraient à le délivrer. Vainement, celui-ci faisait écrire à l’électeur de Trêves, son oncle, qu’il se brouillerait avec lui s’il persistait à donner asile aux émigrés ; vainement, il sommait ses frères de rentrer en France ; ils lui répondaient que, privé de sa liberté, il ne pouvait exiger qu’ils considérassent ses exhortations et ses ordres comme l’expression fidèle de son désir et qu’en conséquence, ils n’avaient pas à en tenir compte. Pendant ce temps, les rivalités que la terreur naissante avait suspendues aux Tuileries renaissaient avec une vivacité nouvelle à Coblentz, où M. de Breteuil ne