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plus précieuse que dans un avenir prochain ce sera peut-être la dernière.

Toutefois il faut se défendre de tout entraînement irréfléchi. L’homme qui se noie saisit d’affolement la première branche à sa portée : ici, le péril est moins pressant, grâce à Dieu! Et avant d’engager sa fortune ou ce qui en reste dans une transformation dont le succès est aussi incertain, il sera bien de peser mûrement les chances favorables et les chances contraires. Les premières forment à peu près tout le fond de ce qu’on a dit ou écrit sur la matière : de ces écrits et de ces discours je retiendrai seulement quelques théories qui me paraissent dangereuses, parce que les imprudens qui les acceptent sans examen et s’y confient pourraient trouver la ruine au bout d’entreprises prématurées. Les secondes tiennent à des circonstances diverses qu’on a trop laissées dans l’ombre. Je vais essayer de discuter les unes et d’appeler sur les autres l’attention qu’elles méritent.

Les ampélographes et les botanistes qui s’intéressent à la situation nouvelle créée à la viticulture par le phylloxéra s’accordent assez bien pour diviser les vignes connues en cépages résistans et en cépages non résistans. Ils en forment ainsi deux groupes. Au premier moment, toutes les espèces ou variétés d’origine américaine ont été rangées dans le premier ; nos variétés françaises ont formé à elles seules le second. Depuis, beaucoup des premières sont venues les y rejoindre, et peut-être y viendront-elles toutes successivement. C’est qu’en effet cette division est purement artificielle : la résistance est une vertu toute relative qu’on observe tantôt à un degré moindre, tantôt à un degré plus élevé, selon le cépage. Entre l’espèce sauvage la plus réfractaire à l’insecte et la variété cultivée la plus vulnérable, on pourrait ranger toutes les vignes connues suivant une série où deux termes consécutifs n’offriraient, au point de vue de la résistance, que des différences très petites.

Quelle sera, en présence du phylloxéra, la durée moyenne des divers cépages dans les conditions ordinaires de culture propres à chaque région? La fortune des vignes américaines est tout entière dans la réponse qui sera faite à cette question. Or l’expérience seule peut, avec le temps, avec beaucoup de temps, l’éclaircir et la résoudre. Le phylloxéra a été reconnu pour la première fois en France en 1868; ce n’est que plus tard qu’on l’a trouvé sur des vignes américaines ; pour quelques-unes, et de celles qui donnaient le plus d’espérances, la découverte ne date que de quatre ou cinq ans. C’est donc depuis un bien petit nombre d’années qu’on a pu étudier la tenue de quelques cépages aux prises avec la maladie, et cette période de temps est tout à fait insuffisante pour qu’on puisse entreprendre avec sécurité une opération agricole sur une vaste échelle.

Tout le monde est d’accord sur ce point ; mais quelques-uns cherchent