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part du médiocre, et certaines pièces de Schumann, goûtées en Allemagne, n’ont pu trouver grâce devant lui. Jusqu’ici, Berlioz est le seul dont il adopte tout : l’Enfance du Christ, comme la Damnation de Faust, la Symphonie fantastique comme la symphonie d’Harold et comme la symphonie sur Roméo et Juliette. Et cette faveur s’affirmant chaque année davantage, à l’égard d’un tel maître dont le pharisaïsme des artistes ses contemporains ne cessa d’empoisonner l’existence, semble une preuve de plus de l’esprit de justice instinctive qui dirige ce nouveau public. Berlioz bénéficie aujourd’hui qu’il est mort, des outrages qu’il eut à subir de son vivant, et l’heure des complètes réhabilitations a si bien sonné pour lui, que les Troyens seraient acclamés à leur tour s’il se trouvait à l’Opéra un directeur capable de profiter du vent qui souffle. Qu’il ait ou non eu conscience de ce qu’il faisait, le public des concerts populaires, faisant œuvre de réhabilitation, faisait œuvre aussi de patriotisme; il élevait autel contre autel, opposait Berlioz à Wagner, disait aux Allemands: Vous avez votre Messie, nous avons, nous, le Précurseur, et prétendons désormais qu’on l’estime et qu’on le renomme selon son droit. Mais bah! les directeurs de l’Opéra ont de nos jours d’autres soins en tête. Qu’il s’agisse de formuler des programmes ou de haranguer leurs administrés ore rotundo, et vous les verrez se mettre en avant et répandre à pleines mains les fleurs de rhétorique sur la nappe des banquets. Des fêtes « de famille, » ils en présideront tant qu’on voudra, parleront de la nécessité de varier et d’enrichir le répertoire, d’associer les anciens maîtres à ceux du présent, de constituer quelque chose d’approchant à ce qui se passe à Vienne et à Berlin, où l’Alceste de Gluck et l’Africaine de Meyerbeer se coudoient, où la Vestale de Spontini se montre au lendemain d’un ouvrage d’Auber, de Rossini, de Cherubini ou de Richard Wagner. Simples phrases de circonstance, feux pyrrhiques et jeux floraux pour amuser la galerie et les ministres bénévoles, et que, rentré chez soi, on oublie vite ! Car de la coupe aux lèvres il y a loin, et la sainte routine est la plus chômée des bienheureuses patronnes du calendrier : l’opéra de Gounod cette année; l’année prochaine, l’opéra de Thomas, et ainsi de suite, sans se donner seulement la peine de renouveler le personnel autrement que par les doublures; les chefs d’emploi restant les mêmes que du temps de M. Halanzier :

C’est imiter quelqu’un que de planter des choux.


Être directeur de l’Opéra, c’est imiter Véron et Duponchel quand on est M. Perrin, et M. Perrin quand on s’appelle Vaucorbeil. S’il existe quelque part un Diogène qui cherche un directeur subventionné ne reproduisant point l’exacte image de son prédécesseur, ce philosophe-là n’est pas près d’éteindre sa lanterne. Nous devons aux concerts populaires