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de sang-froid, de netteté et même, si l’on nous passe le mot, de bonhomie. Pourquoi ne pas dire tout simplement la vérité ? Pourquoi ne point avouer qu’on avait eu certainement des sympathies pour la Grèce et qu’on avait voulu la servir, — ce qui était parfaitement avouable, — qu’on avait cru même un instant pouvoir pousser cet intérêt jusqu’à fournir aux Grecs des officiers instructeurs et des armes, — mais que, devant l’émotion soudaine, manifeste de l’opinion publique, on s’était arrêté comme on le devait? Pourquoi, à propos des récens marchés d’armes et d’approvisionnemens de guerre, ne pas convenir tout bonnement qu’on avait été un peu pris en défaut, qu’il y avait eu quelque confusion, comme il y en a dans beaucoup d’autres parties de l’administration ? Au lieu de ces explications toutes simples et d’un aveu sans artifice, le principal porte-parole du cabinet, M. le président du conseil, s’est cru obligé de mettre dans son langage une certaine diplomatie, de se perdre en subtilités et en réticences. Il s’est laissé arracher comme à regret des pièces qu’on n’avait pas publiées et qui en font supposer d’autres. Il a tenu à prouver qu’avec la « mission Thomassin, » on ne faisait que ce qu’avaient fait tous les gouvernemens antérieurs, qu’il n’y avait pas eu promesse de fusils. Pour les dernières ventes d’armes consenties directement par les arsenaux avec le commerce, on est allé exhumer des dispositions anciennes qui les autoriseraient, un décret de 1872 dont on a donné une interprétation étrangement libre, vivement relevée par M. le duc d’Audiffret-Pasquier. On s’est prévalu de ce décret sans prendre garde, que si ces marchés étaient réguliers, on n’avait pas le droit de les annuler après coup comme on l’a fait en interdisant l’expédition, qu’on couvrait un premier défaut de vigilance par un acte tardif d’autorité discrétionnaire, qu’on exposait enfin l’état à des revendications, à des paiemens d’indemnités pour lesquels il faudra bien demander des crédits dont le vote sera une difficulté nouvelle. Sur tout cela, s’il faut le dire, le gouvernement s’est embrouillé dans ses réponses aux pressantes interpellations de M. le duc de Broglie; dans le sénat comme à la chambre des députés, il a eu trop l’air d’être gêné, et en définitive le résultat le plus sensible de ces explications qui n’ont rien expliqué a été de laisser soupçonner qu’on ne disait pas tout, qu’il y avait autre chose ; que ce que n’avaient pas fait ou promis les ministres, d’autres avaient pu le faire ou le promettre, enfin que derrière le gouvernement ostensible et régulier, si visiblement embarrassé, il y avait ce qu’on a appelé un « gouvernement occulte. »

C’était la vraie question. L’incident grec n’était rien, il n’a été qu’une occasion, un rendez-vous attendu ou recherché depuis longtemps. Il n’a fait que démasquer une situation plus générale où M. le président de la chambre des députés, bien plus que le gouvernement, se trouvait mis en cause dans ses actes et dans ses intentions, dans ses projets et dans ses pensées, dans cette prépotence au nom de laquelle il