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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/236

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le dit, et s’il n’est pas tout, comme le prétendent ses adversaires, il a dans tous les cas une position d’influence mal définie, réelle néanmoins, prépondérante et débordante en dehors des pouvoirs réguliers. Or c’est là justement la question, l’énigme dont nous parlions. Quelle est cette situation d’un homme qui fait et défait des ministres et qui n’a pas voulu encore être ministre, qui n’est ni un simple président de la chambre puisqu’il se mêle aux plus vifs débats, ni un président du conseil puisqu’il n’a pas la responsabilité des affaires, ni un chef de parti conduisant ostensiblement son armée au combat dans le parlement? Pourquoi M. Gambetta, avec la majorité qu’il a pu former, dont il a pu évidemment disposer plus que tout autre, a-t-il paru jusqu’ici se dérober au pouvoir? S’il lui faut une autre chambre, d’autres conditions, que veut-il donc? quel est ce rôle de grand chancelier de la république pour lequel il semble se préparer?

A y regarder de près, à travers tout, la faiblesse de M. Gambetta, c’est ce goût des situations irrégulières, d’un ascendant supérieur et exceptionnel dont il paraît se faire un système. Sous ce rapport, le discours que M. le président de la chambre a prononcé l’autre jour et qui dépassait visiblement l’enceinte de l’assemblée où il retentissait, ce discours est peut-être singulièrement instructif. Il est savamment conduit, il a deux parties. Au commencement, M. Gambetta se fait un devoir de déclarer qu’il entend ne rien critiquer, qu’il donne sa confiance au gouvernement « les yeux fermés. » Il proteste qu’il est étranger aux affaires de Grèce aussi bien qu’à toutes les autres affaires, que, par un privilège spécial d’ignorance parmi ses contemporains, il n’a connu « la mission Thomassin » que lorsque « le brave et distingué général » est venu lui annoncer qu’il avait dû partir pour Athènes, qu’il ne partait plus. M. le président de la chambre défie ministres passés ou présens, agens extérieurs ou intérieurs, de lui prouver qu’il a pesé sur une résolution quelconque, qu’il a donné même un conseil. Voilà certes un homme bien empressé à se défendre de toute ingérence illégitime! Ceci, il est vrai, est pour le passé. A peine ces déclarations un peu invraisemblables ont-elles retenti cependant, tout change : c’est le candidat qui se déclare en vue des élections prochaines et qui, se dégageant des nuages, s’appuyant sur une position acquise, sur une popularité dont il a le sentiment, ne craint plus d’avouer des aspirations assez difficiles à définir.

M. Gambetta, parlant de la réserve qu’il a cru devoir garder jusqu’ici, a ajouté aussitôt : « Cette réserve, je me l’imposerai jusqu’au jour où il conviendra à mon pays de me désigner nettement pour remplir un autre rôle...» Pour un simple candidat à la députation, même à la direction d’un cabinet, c’est là, il faut l’avouer, une parole un peu étrange, passablement mystérieuse et telle qu’en l’entendant on pouvait se rappeler, on murmurait presque involontairement cette parole d’un autre temps, d’un autre