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scène par quelque grande question extérieure comme à d’autres époques. C’est lui-même qui a pris soin de déclarer que « Dieu merci, on ne prévoit pas qu’il y ait de guerre avant longtemps, » et ce que le chancelier a déclaré, le discours lu ces jours derniers au nom de l’empereur à l’ouverture du Reichstag ne fait que le confirmer en écartant toute prévision d’une « perturbation même partielle de la paix de l’Europe. » M. de Bismarck ne songe pas à la guerre pour le moment, pour tout le temps qu’il jugera convenable. S’il est remonté avec un certain éclat « sur la brèche, » pour parler son langage, c’est dans l’intérêt du système économique, financier, administratif, même un peu socialiste, dont il poursuit la réalisation et qui rentre dans ce qu’on peut appeler avec lui la politique « dictatoriale. » Un des projets qu’il vient de soutenir devant les chambres prussiennes est une partie de ce système, dont le but est le développement de l’organisation indépendante de l’empire. Il s’agit de constituer les finances impériales par la création d’impôts indirects et par le produit des douanes. L’empire se trouverait ainsi dispensé de recourir à des redevances qu’on lui marchande quelquefois; il serait doté de ressources indépendantes qui dépasseraient peut-être les dépenses, et avec les excédens il donnerait aux états particuliers le moyen de diminuer leurs impôts directs. L’allègement pour la Prusse est de 14 millions de marks. C’est ce qui vient d’être l’objet d’une longue et vive discussion où l’on n’a pas eu de peine à démontrer que cela pouvait être fort ingénieux, mais que le dégrèvement était plus apparent que réel, que le seul résultat pour les contribuables de la Prusse serait de payer un peu moins comme Prussiens et beaucoup plus comme Allemande. Un autre projet récemment discuté dans les chambres de Berlin a trait à une réorganisation provinciale et communale combinée de façon à fortifier l’action administrative de l’autorité centrale. En même temps, M. de Bismarck, tout entier à son idée d’un socialisme d’état destiné à combattre le socialisme révolutionnaire, fait proposer au Reichstag un système d’assurances et de corporations pour les ouvriers. Il demande aussi, par la même occasion, une réforme de quelques articles de la constitution, de façon à avoir la liberté de ne réunir le parlement allemand que tous les deux ans.

Voilà bien des œuvres difficiles ! Tous ces projets auxquels M. de Bismarck s’attache d’un esprit opiniâtre ne sont pas encore des réalités. La loi de dégrèvement est seule votée, et elle n’a été adoptée que par raison d’état, sous la pression du chancelier. La loi sur l’organisation provinciale reste ajournée faute d’entente entre les chambres. Les projets d’assurances pour les ouvriers et de la réforme constitutionnelle sont à peine proposés ou annoncés. M. de Bismarck, avec sa volonté énergique et son autorité jusqu’ici irrésistible, est certainement homme à ne pas se désister de ce qu’il veut et à avoir raison de bien des difficultés.