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que précède un homme courant, dans ces gens de guerre qui se rencontrent et se saluent devant la tente du vivandier, dans ces figures si animées qui circulent autour de la baraque des bouchers ou de la baraque des buveurs, près de laquelle est un tonneau sur une charrette! Tout cela est vif, spirituel. Callot y a employé sa meilleure plume.

Ces précieux croquis ne doivent pas faire oublier le portrait de Callot par lui-même, que M. Thausing a placé en tête de son volume. Ce dessin a été rapidement exécuté à la pierre noire; il est ravivé aux yeux, aux lèvres, au nez et aux cheveux par quelques traits à la sanguine, qui n’existent pas dans la reproduction. Une grande collerette couvre les épaules et le haut de la poitrine. Une barbiche et des moustaches retroussées donnent un certain piquant au visage, qu’encadrent des boucles de cheveux retombant un peu en désordre. Les yeux, d’une belle forme, sont doux, nobles, intelligens, avec une nuance de mélancolie[1]. Ce n’est pas ainsi qu’on se figure l’artiste qui se signala dans sa jeunesse par des équipées si aventureuses, et qui, habile à saisir le côté comique des personnes et des choses, nous a laissé tant de caricatures et de figures grotesques. L’homme que nous avons sous les yeux est celui dont le caractère aimable gagnait partout la sympathie et qui obtint si rapidement la faveur de Cosme II de Médicis, des princes de Lorraine Charles III, Henri II et Charles IV, de Louis XIII et de son frère ; celui qui méditait volontiers sur les misères de la vie humaine et sur la mort; celui qui, une fois fixé à Nancy, mena jusqu’à son dernier jour (1643) une existence si bien réglée. « La promenade de grand matin avec Jean, son frère aîné; au retour, la messe et le travail jusqu’à l’heure du dîner; quelques visites, puis encore le travail jusqu’au soir, même à la lampe durant l’hiver : telle était la distribution de son temps. Il recevait beaucoup d’amis, de visiteurs, qui s’entretenaient avec lui pendant qu’il gravait... Du reste, depuis son mariage (1625), Callot était devenu un homme d’intérieur, de coin du feu; il allait rarement à la cour[2]. » Tel est le Callot que nous montre le portrait donné par M. Thausing, et tel est aussi celui que nous aimons surtout à nous rappeler.


GUSTAVE GRUYER.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.

  1. Ce portrait n’est pas en contradiction avec celui que Vorstermann a gravé d’après une peinture de Van Dyck. Dans l’un et l’autre on reconnaît le même personnage; l’expression seule diffère. Dans le portrait exécuté par Vorstermann, Callot, qui tient un crayon à la main, a une physionomie également franche, loyale, douce et placide, mais il n’y a en lui aucune nuance de tristesse. Les deux portraits d’ailleurs doivent dater à peu près de la même époque, car le recueil de l’Albertine est de 1624, et c’est en 1624 ou 1625 que Callot eut l’occasion de voir Van Dyck, quand il se rendit à Bruxelles pour préparer sa gravure du Siège de Bréda.
  2. E. Meaume, Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot, p. 66-67.