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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/324

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Dans la préface datée du mois de janvier 1573, Charpentier, s’adressant au cardinal de Lorraine, glorifie la belle journée qui a lui sur la France au mois d’août précédent et qui a retardé la publication de son livre.

Charpentier approuve donc le massacre du 24 août et s’en réjouit. La passion politique et l’ardeur religieuse l’emportent chez lui sur les sentimens d’humanité et de modération qu’au milieu des discussions les plus vives, il a fait paraître dans tous ses écrits.

Faut-il en conclure que, lâchement vindicatif, il ait préparé et voulu le meurtre d’un ennemi depuis longtemps vaincu?

Faut-il croire que cet homme, toujours franc dans ses luttes littéraires, cet écrivain toujours soucieux de l’estime de ses lecteurs, qui, chargé d’une mission dont il est fier, la remplit mollement pour n’être pas accusé de poursuivre un ennemi, ait été capable, en même temps que du crime le plus odieux, de l’hypocrisie la plus basse?

Les lignes suivantes terminent en effet son livre : « La publication de ce livre a été retardée par plusieurs causes; la mort de Ramus et celle de Lambin sont survenues au moment où je mettais la dernière main à mon ouvrage, consacré en grande partie à les combattre, non sans âpreté quelquefois; pour n’être pas accusé de lutter contre des ombres et de triompher de leur mort qui me prive d’un aiguillon précieux dans mes études, j’aurais supprimé l’édition pour en faire une nouvelle, s’il n’avait pas fallu imposer une trop grande perte à mon libraire. »

Est-ce là le langage d’un assassin? Tant d’hypocrisie, s’il était coupable, lui permettrait-elle d’approuver la sanglante journée et d’y applaudir? Mais l’accusation, par un autre passage, prétend le convaincre sans appel. On lit, à la page 261, ces lignes adressées à Ramus :

« Grâce à Dieu, tes billevesées, malgré le fard dont tu savais les couvrir, seront bientôt chassées en même temps que leur auteur, ou plutôt elles ne sont déjà plus, et les honnêtes gens s’en réjouissent. Dieu veuille rendre leur joie durable, lui dont, je ne crains pas de le dire, tu as offensé la majesté par de tels écrits! ta punition est méritée, et la gravité du châtiment a compensé le retard de la vengeance. »

Ce n’est plus ici à la Saint-Barthélémy, c’est à la mort cruelle de Ramus que Charpentier semble applaudir, et sans consentir au raisonnement de ceux qui veulent y voir l’aveu d’un assassinat, s’il avait poussé un tel cri de vengeance et de haine, je me reprocherais le temps consacré à défendre sa mémoire.

Mais on reconnaît, si l’on y regarde de près, que ces lignes,