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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/348

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corrompant les mœurs que Molière s’est préparé à railler les mystères. La naïveté malicieuse de son Agnès a plus corrompu de vierges que les écrits les plus licencieux, et plus de femmes se sont débauchées à son école qu’à celle du philosophe d’Athènes[1]. » Déjà, dans l’École des femmes, Molière raillait les mystères et se moquait « de l’enfer et de ses chaudières bouillantes. » Bientôt il alla plus loin et s’en prit à la dévotion elle-même. Mais c’est surtout sa dernière pièce, celle de Don Juan, qui est vraiment diabolique. C’est là que l’impiété et le libertinage se présentent à tous momens à notre imagination : « Une religieuse débauchée et dont on publie la prostitution, un pauvre à qui on donne l’aumône à condition de renier Dieu, un libertin qui séduit autant de filles qu’il en rencontre, un enfant qui se moque de son père et qui souhaite sa mort, un impie qui se raille du ciel et qui se rit de ses foudres, un athée qui réduit toute la foi à deux et deux font quatre, un extravagant qui raisonne grotesquement sur Dieu et qui par une chute affectée casse le nez à ses argumens, un valet bizarre dont toute la créance aboutit au moine bourru[2], » voilà toutes les horreurs dont la pièce est remplie et qui, suivant l’auteur du pamphlet, sont l’indice d’une conspiration secrète contre la religion.

On répondra sans doute à ces imputations que Molière a bien pu représenter un athée sur la scène sans faire profession d’athéisme, et qu’il y fait défendre la religion par Sganarelle ; mais c’est là pour le critique un nouveau grief et plus grave encore, celui « d’avoir mis la défense de la religion dans la bouche d’un valet impudent, d’avoir exposé la foi à la risée publique ; et « où a-t-il vu qu’il fût permis de mêler les choses saintes avec les profanes, de parler de Dieu en bouffonnant et de faire une farce de la religion ? » On lui reproche aussi de n’avoir pas suscité quelque acteur « pour défendre la cause de Dieu et défendre sérieusement ses intérêts. Il fallait réprimer l’insolence du maître et du valet et réparer l’outrage qu’ils faisaient à la majesté divine. » Reste enfin le dénoûment que Molière peut invoquer en sa faveur ; car, en définitive, c’est le méchant qui est puni ; l’athée est foudroyé. « Mais ce foudre, répond l’accusateur, n’est qu’un foudre en peinture qui n’offense pas le maître et qui fait rire le valet. » Les mêmes reproches, les mêmes accusations se retrouvent dans la lettre du prince de Conti sur la

  1. L’auteur de ce pamphlet parle d’un philosophe d’Athènes qui se vantait, dit-il, que « personne ne sortît ; chaste de ses leçons. » Nous ne savons pas quel est ce philosophe.
  2. Le passage du moine bourru n’est pas dans l’édition publiée par Molière, mais il est dans l’édition de Hollande. C’est probablement un trait supprimé par Molière après la première représentation.