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ne rit plus, c’est souvent une marque de blâme plus forte et plus profonde que le rire lui-même, car c’est le commencement du mépris. On ne rit pas de Tartufe, on le méprise ; on ne rit pas de don Juan, on en a horreur tout en l’admirant; et, pour nous borner au Misanthrope, on ne rit pas de Célimène; c’est toujours elle qui règne, et même démasquée, humiliée, elle est encore souveraine, et c’est elle qui veut bien accorder sa main. En un mot, elle manie le ridicule, elle ne le subit pas. Quand Arsinoé, se croyant sûre de vaincre, vient avec une feinte sympathie lui proposer de s’amender en lui racontant ce qu’on dit sur elle, ce n’est pas Célimène, c’est Arsinoé qui est ridicule. Enfin, c’est à peine si l’on peut dire qu’elle est punie; on sent bien que ce n’est pour elle qu’un échec momentané, mais qu’avec sa beauté, son esprit, sa grâce et sa fortune, elle n’aura pas de peine à reprendre le sceptre des salons et à gagner de nouveau le cœur des hommes, et cependant on ne surprend en elle aucun vestige de remords, pas l’ombre d’un sentiment généreux; le cœur est absolument vide. Voilà donc un caractère qui ne provoque pas un instant le rire. Peut-on croire que Molière ait voulu nous !e faire admirer? N’est-il pas évident, au contraire, qu’il veut nous le rendre, sinon odieux, du moins antipathique, et n’y a-t-il pas réussi? Dira-t-on de Célimène, comme Rousseau l’a dit de Philinte, que c’est le sage de la pièce? Est-ce là pour Molière l’idéal de la femme? Et si, comme on le dit, il a emprunté pour la peinture de ce caractère quelques traits à sa propre femme, ne sent-on pas qu’il a voulu, au contraire, flétrir la sécheresse d’un cœur glacé, incapable de comprendre le prix d’un cœur comme le sien? Si l’on prend à la lettre le principe que la comédie doit toujours faire rire et qu’elle ne blâme que par le ridicule : castigat ridendo, on demanderait alors avec raison si Célimène est comique, puisqu’on ne rit pas d’elle. Elle provoque le rire, dira-t-on, par ses observations malicieuses; oui, mais elle fait rire des autres, non d’elle-même; elle fait rire non-seulement des absens qui ne sont pas là pour se défendre, mais d’Alceste lui-même, qui vaut cent fois mieux qu’elle. Il y a donc du comique dans la pièce, mais ce comique n’est pas attaché ni proportionné à ce qui est vraiment vicieux; c’est l’égoïsme et la frivolité qui rient; c’est l’honneur qui donne à rire. Peut-on cependant soupçonner un seul instant Molière d’avoir voulu mettre la raison d’un côté et le ridicule de l’autre? Ce n’est donc pas de railler ou d’être raillé qui est le signe de ce qui doit être approuvé ou blâmé; il faut écarter cette apparence et aller au fond des choses.

Disons d’abord que l’on exagère quelque peu en disant, même avec l’auteur de la Notice, M. Paul Mesnard, qu’Alceste est « quelquefois