En 1774, Cook estimait la population tahitienne à 240,000 âmes. Son calcul se fondait sur le chiffre des guerriers que le chef Toouha embarquait sur une flotte de deux cent dix pirogues de guerre destinées à opérer une descente sur l’île Moorea. En 1797, les missionnaires anglais portent à 50,000 la population de l’île. Elle n’est plus que de 10,000 en 1838[1], lors du séjour des corvettes l’Astrolabe et la Zélée. Le dernier recensement l’évalue à 9,551[2].
Le contact avec les blancs amène les maladies vénériennes. L’eau-de-vie, le plus terrible des poisons pour ces races des climats chauds, les décime. C’est une grande erreur de croire que la civilisation se présente aux races barbares uniquement par ses bons côtés. Il n’en est rien. Elle pénètre autant par ses vices, que le sauvage greffe sur les siens propres, que par ses vérités élevées et ses théories morales.
Nous avons vu la vraie lutte s’engager moins entre le Kanaque réfractaire et la civilisation envahissante qu’entre le missionnaire blanc et l’aventurier blanc, entre la religion et l’eau-de-vie se disputant l’indigène. Les missionnaires l’emportent. Instructeurs du peuple, n’est-ce pas à eux de l’initier à cette civilisation nouvelle dont ils sont évidemment les représentans les plus autorisés? Pour bien juger leur œuvre, il importe de se rendre compte des obstacles dont ils avaient à triompher. D’une part, le paganisme vaincu, mais tenant encore par mille racines, les appétits sensuels comprimés, mais non éteints; et de l’autre, leurs compatriotes, avides de gain, impatiens de tout contrôle, bien autrement redoutables pour eux que les Kanaques. Plus religieux que politiques, plus croyans qu’expérimentés, les missionnaires voient dans leur propre domination le saint de la race qu’ils convertissent; ils taillent dans la Bible une sorte de gouvernement théocratique; ils empruntent aux lois de Moïse un code civil; ils croient pouvoir réformer les mœurs à coups de décrets.
C’est ce que tentaient les missionnaires américains aux îles Sandwich. Aux Sandwich, comme à Tahiti, ils se trompèrent; mais une partie de leur œuvre subsiste encore aujourd’hui, et de leurs fautes il ne reste que le souvenir.
Pomaré III vécut peu. Sa sœur Aimata lui succéda, en 1825, sous le nom de Pomaré IV. Elle avait alors douze ans. C’est sous son règne que s’accomplirent les événemens dont nous avons parlé et que, par l’acceptation du protectorat, la France prit pied dans l’Océanie.