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extérieure et civile spontanément et comme il lui convenait. Les missions catholiques ont porté aux païens la foi et un maître, tandis que les missions évangéliques leur portent la foi et la liberté[1]. »

L’établissement du protectorat devait fatalement modifier cet état de choses, non par le fait du gouvernement français d’alors, peu soucieux de propagande religieuse, mais par l’impossibilité matérielle et morale de dénier libre accès dans l’archipel aux missionnaires catholiques impatiens de se mesurer avec leurs rivaux et de leur disputer leurs conquêtes. Déjà Chateaubriand avait prêché la croisade nouvelle et signalé au zèle de la société des missions ces terres peu connues : « Tahiti, écrivait-il dans la préface de son Voyage en Amérique, a perdu ses danses, ses chœurs, ses mœurs voluptueuses. Les belles habitantes de la nouvelle Cythère sont aujourd’hui, sous leurs arbres à pain et leurs élégans palmiers, des puritaines qui vont au prêche, lisent l’Écriture avec des missionnaires méthodistes, controversent du matin au soir et expient dans un grand ennui la trop grande gaîté de leurs mères. On imprime à Tahiti des bibles et des ouvrages ascétiques ! »

On sent percer dans ces appréciations le déplaisir que lui causent les progrès du protestantisme et la nonchalante insouciance avec laquelle il juge les faits religieux qui ne répondent pas à son sentiment du beau. L’auteur du Génie du christianisme ne va pourtant pas jusqu’à regretter ouvertement les changemens survenus, mais d’autres affirmaient ce qu’il ne disait pas et reprochaient aux missionnaires anglais d’avoir substitué au paganisme antique des mœurs sévères. Un des compagnons de voyage de Duperrey, M. Lesson, correspondant de l’Institut et chirurgien en second à bord de la Coquille, appréciait ainsi les résultats obtenus :

« Le cachet qui caractérisait ces peuplades a disparu sous un vernis de dissimulation que leur a porté la ferveur du rigorisme des prêtres protestans. Si les missionnaires, de quelque couleur qu’ils soient, sont aujourd’hui un vrai non-sens parmi les populations civilisées, que pense-t-on que doivent être ces hommes sans talent, sans élévation dans l’âme, à idées rétrécies et bigotes, agissant comme des énergumènes au milieu des peuplades de la mer du Sud, leur portant, disent-ils, le pain de l’évangile, pain lourd et indigeste pour des estomacs qui n’y sont pas préparés? Combien je regrette, pour ma part, la physionomie native des peuplades océaniennes que gâte chaque jour le contact des Européens ! Certes,

  1. Troisième rapport à la Société des missions évangéliques. (Assemblée générale du 14 avril 1826. Discours de M. Guizot.)