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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/420

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les traditions et les prescriptions administratives de la métropole. Elles ont, dans une certaine mesure, leur raison d’être en France, elles ne l’ont pas là-bas. Ces rouages sont trop compliqués ; il y aurait avantage à les simplifier et à diminuer du même coup le nombre des fonctionnaires. Sauf un très petit nombre, il y aurait avantage aussi à les recruter parmi les colons eux-mêmes, plus directement intéressés aux progrès commerciaux et au développement agricole du pays, dont le sol est admirablement approprié à la culture du coton et de la canne à sucre. En 1875, Tahiti exportait pour plus d’un million de francs de coton égrené, dont 247,000 en France. Dans le premier semestre de 1878, l’exportation était tombée à 31,000 francs pour la France. L’industrie sucrière ne produit presque rien, alors qu’aux îles Sandwich elle est une des principales sources de la prospérité du pays et que chaque année on crée des plantations nouvelles. Les bras et les capitaux font défaut à l’agriculture; l’immigration seule peut amener les uns et les autres. C’est elle qu’il importe d’encourager, et c’est elle que nos prescriptions méticuleuses, nos exigences bureaucratiques tiennent le plus souvent à distance. Le sol n’est pas plus riche, le climat n’est pas plus doux, la vie n’est pas plus facile aux Sandwich que dans notre colonie nouvelle. Si l’immigration s’y porte de préférence, si les capitaux y affluent, si l’exportation grandit chaque jour, la cause en est moins dans le traité de réciprocité conclu avec les États-Unis et qui assure aux sucres havaïens la libre admission sur le marché de San-Francisco que dans une législation très simple, des impôts modérés, la mise en valeur des terres et des lois de naturalisation qui permettent à l’émigrant de s’identifier avec la population et de prendre part, comme électeur et comme éligible, sous certaines conditions de cens électoral, à la vie politique du pays. Les lois ne créent pas l’immigration, elles l’attirent ou la repoussent. A Tahiti, on n’a rien fait pour l’attirer. Redoutait-on, dans l’état précaire que constituait le protectorat, l’introduction d’un élément étranger hostile à son maintien? Peut-être. Ces préventions doivent disparaître aujourd’hui. La France n’a plus rien à redouter de ce côté. Ces archipels sont terres françaises ; il dépend de nous qu’ils deviennent riches et prospères. Abandonnons, parmi nos anciens erremens, ceux que l’expérience a condamnés, empruntons aux pays voisins les mesures qui leur ont si bien réussi. Un champ nouveau s’ouvre à notre activité et à nos efforts; il est de nature à tenter de nobles ambitions.


C. DE VARIGNY.