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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/627

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Avant de le quitter, il y a une dernière remarque à faire : c’est qu’au moment où Jésus est mort, il n’existait encore rien de ce que nous appelons le christianisme. Jésus n’était pas encore un Christ, et il n’avait d’ailleurs introduit ni un dogme, ni une pratique nouvelle. Il n’avait aucune idée, ni de la trinité, ni de l’incarnation, ni d’autres mystères; aucune de l’église, ni d’un prêtre, ni d’un évêque; aucune des sacremens, ni d’une cérémonie chrétienne quelconque, pas même du baptême. Il avait reçu, à ce qu’il semble, le baptême ou l’ablution de Jean, qui était tout autre chose, mais le baptême chrétien, l’acte premier et essentiel de la religion nouvelle, il l’ignorait absolument; il n’a jamais ni baptisé, ni fait baptiser personne. Il est vrai qu’il y a un verset, à la fin de l’évangile qui porte le nom de Matthieu, où il dit : « Allez et baptisez ; » mais cette parole (qui ne se retrouve nulle part ailleurs), l’évangile même qui la lui donne ne la lui fait prononcer qu’après sa mort, au moment de ce qu’on appelle son ascension. Pendant la vie même de Jésus, il n’est jamais parlé, dans les trois premiers évangiles, de qui que ce soit qui ait été baptisé par lui ou par un des siens. Le quatrième évangile seulement, qui est toujours à part des autres, l’a supposé, et encore reconnaît-il clairement qu’il contredit, en le supposant, la tradition établie, puisqu’il se reprend en disant : « Jésus lui-même ne baptisait pas; c’étaient ses disciples[1]. »

Non-seulement les trois derniers Évangiles ne disent pas que Jésus ait pratiqué le baptême, mais encore ils disent très positivement le contraire, puisque voici les paroles qu’ils mettent dans la bouche de Jean quand ils lui font prédire Jésus : « Moi, je vous ai baptisés dans l’eau, mais lui il vous baptisera dans l’Esprit saint.» (Marc, I, 8, etc.) Cette antithèse a été supprimée dans le dernier évangile (I, 26).

Jésus n’est chrétien que par une seule chose, qui est une certaine manière de sentir. Non pas que cette manière de sentir soit toujours absolument nouvelle, et on se fait encore là-dessus quelque illusion. J’ai déjà montré que telle parole, où l’on croit d’abord reconnaître l’accent personnel de Jésus est simplement prise de l’Écriture.

Néanmoins l’évangile a dans son ensemble une autre physionomie

  1. A moins qu’on ne croie que le verset IV, 2, n’est pas du même écrivain que III, 22; IV, 1 ; et qu’on ne le regarde comme une correction qui aura passé dans le texte. Quant à la formule : « Au nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint, » je l’expliquerai lorsque j’en serai à l’évangile de Matthieu.