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qui gouverne les actions des hommes, c’est l’amour de la richesse et de la jouissance. Faites entendre à l’oreille d’un individu le bruit séducteur des pièces d’or, et vous pouvez prévoir de quel côté il se dirigera. »

Stuart-Mill, dans son Essai sur la définition et la méthode de l’économie politique, s’exprime ainsi : « L’économie politique ne considère l’homme que comme un être qui poursuit la possession de la richesse. Elle fait abstraction de tous les autres mobiles ou passions, excepté de ceux qui constituent des principes opposés au désir de la richesse, à savoir l’aversion du travail et la soif des jouissances immédiates. Elle tient compte de ces mobiles dans ses calculs, parce qu’ils ne sont pas, ainsi que d’autres désirs, occasionnellement en conflit avec la poursuite de la richesse, mais parce qu’ils y sont toujours intimement liés, soit comme un stimulant, soit comme un empêchement. » Quand certains économistes français, à l’exemple d’Hippolyte Passy ou de M. Maurice Block, invoquent sans cesse « les lois naturelles qui partout et toujours gouvernent les sociétés humaines, » ils se font de leur science la même idée que celle exprimée ici par Mill. Ils croient qu’on ne peut donner le nom de science qu’à un ensemble de propositions rigoureusement déduites d’axiomes fondamentaux, comme dans un traité de géométrie, et ils veulent absolument construire l’économie politique sur le modèle des sciences exactes. C’est une grave erreur qui confond tout. Les sciences morales et politiques, la philosophie, le droit, la politique, la morale et l’économie politique ont pour objet l’homme, ou plutôt encore, les hommes : êtres variables, perfectibles, libres, qui échappent à vos formules et dont les actes viendront toujours donner un démenti à vos calculs. Certains essais de sociologie éliminent, il est vrai, la liberté, en prétendant que les faits actuels sont toujours la conséquence nécessaire des forces antérieurement existantes et que supposer un acte entièrement libre, c’est-à-dire arbitraire, c’est admettre un effet sans cause. Mais même en acceptant cette théorie, il faudrait encore tenir compte des innombrables influences qui déterminent les actes humains et en mesurer la puissance relative. Si le propre de la science est de prédire ce qui doit arriver, on peut affirmer que les sciences sociales, entendues de cette façon, sont au-dessus de notre portée. L’astronome annonce les mouvemens des corps célestes, et la chimie, les réactions des substances mises en contact, parce que les forces en œuvre sont bien connues et agissent toujours de la même manière, fatalement, nécessairement; mais qui nous dira ce que fera l’homme et surtout la femme dans telle circonstance donnée? Comment comparer exactement la force relative des mobiles divers qui dictent les actes humains? Tout est déterminé, dites-vous. Soit; mais qui énumérera