amer sentiment de désappointement. Les sacrifices consentis à Berlin par la diplomatie impériale firent perdre de vue tous les résultats réels de la guerre. Le traité qui enlevait à la Turquie le large fossé du Danube et ne lui conservait nominalement le haut rempart du Balkan qu’en y rendant presque impossible la présence des sentinelles turques ; le traité qui, en agrandissant les deux protégés traditionnels de Pétersbourg, la Serbie et le Monténégro, faisait reconnaître leur indépendance; qui, entre le Danube et les Balkans, érigeait pour un allié du tsar une principauté de Bulgarie et, à côté d’elle, une province autonome, manifestement destinée à revenir tôt ou tard aux Bulgares; le traité enfin qui, en Europe, faisait désormais confiner la Russie aux bouches du Danube et qui, en Asie, lui donnait Batoum, le meilleur port de la Mer-Noire avec Kars, la meilleure forteresse de l’Asie-Mineure, ce traité de Berlin qui effaçait les principales stipulations de celui de Paris, fut reçu comme une humiliation et honni comme une banqueroute de l’honneur russe. Dans un discours du 22 juin (3 juillet) 1878, l’infatigable Ivan Aksakof avait, aux applaudissemens d’une nombreuse assistance, dénoncé la mutilation de la Bulgarie et l’abandon de la Bosnie aux Allemands ou aux Magyars de l’Autriche-Hongrie comme une trahison de la cause slave et une désertion de la mission historique de la Russie. Pour mettre un terme à cette agitation et à cette ingérence toute nouvelle des particuliers dans sa politique étrangère, le gouvernement d’Alexandre II dut recourir à des mesures de rigueur. Il lui fallut suspendre plusieurs journaux et faire interner dans ses terres, par la IIIe section, l’indocile président des comités slaves.
Qui, aux yeux de la Russie, était responsable de tous ces mécomptes successifs? Ce n’était pas seulement l’Angleterre de lord Beaconsfield, l’Autriche-Hongrie du comte Andrassy, l’Allemagne du prince de Bismarck, c’était naturellement avant tout le pouvoir, les hommes en place, le régime en vigueur. De cette guerre entreprise avec un loyal et sincère enthousiasme, la Russie sortait ainsi mécontente d’autrui et d’elle-même, mécontente de son gouvernement et du système d’alliances de l’empereur Alexandre II, mécontente de l’administration, de la direction militaire, de la diplomatie, lasse en un mot de tout l’ordre de choses existant. La guerre de Bulgarie, terminée aux rives légendaires de la mer de Marmara, a eu sur la nation et l’opinion publique presque la même influence que, vingt ans plus tôt, la guerre de Crimée et la chute de Sébastopol. Le besoin de changemens et de modifications de toute sorte, l’urgence d’une refonte des institutions et d’un renouvellement de l’état s’est tout à coup fait sentir partout à la fois.
La désaffection, la méfiance, le pessimisme fomentés par les