nous avons signalés, et deux ou trois autres encore, — que des formes, des coupes des scènes, des procédés extérieurs. Il n’est qu’un point par où peut-être il est plus voisin de Molière que Lesage même et surtout que Regnard. C’est que, quoi qu’on en dise, il ne fait pas tant montre de son esprit, et les mots chez lui s’incorporent au dialogue presque aussi intimement que dans la comédie de Molière. Évidemment, il n’y a pas lieu de faire ici le moindre rapprochement : cette faculté de plaisanter à propos ou pour mieux dire de plaisanter utilement, elle ne s’enseigne, ni ne s’emprunte, ni ne s’achète au marché : on l’a ou on ne l’a pas. Marivaux l’avait. Il est brillant sans doute, mais plutôt par la justesse que par l’abondance du trait, et par une certaine volubilité de langue, à lui bien personnelle, plutôt encore que par l’éclat de la paillette. D’ailleurs tout à fait émancipé de Molière, il n’imite de lui ni l’espèce, ni par conséquent les ressorts de l’intrigue, ni surtout, et ce point est capital, les mobiles qui font agir ses personnages. Est-ce à dire qu’il soit tout à fait indépendant, mort sans successeur et né sans ancêtres? Non, mais tandis que tous les autres obéissent à l’impulsion de Molière, Marivaux y résiste d’abord, finit par se révolter, rompt ses liens, et va se mettre à l’école de Racine. La comédie de Marivaux, c’est la tragédie de Racine, transportée de l’ordre de choses où les événemens se dénouent par la trahison et la mort, dans l’ordre de choses où les complications se dénouent par le mariage. Au fond, Andromaque, n’est-ce pas une double inconstance, Pyrrhus infidèle à l’amour d’Hermione comme Hermione est parjure à l’amour d’Oreste? N’est-ce pas la tragédie, s’il en fut, des fausses confidences que Bajazet :
Avec quelle insolence et quelle cruauté
Ils se jouaient tous deux de ma crédulité?
mais Mithridate ou Phèdre, quels jeux, et quels jeux sanglans de
l’amour et du hasard! Déjà les contemporains de Marivaux, étendant à toutes ses comédies le titre de l’une ou plutôt de deux des
meilleures d’entre elles, avaient remarqué qu’elles étaient toutes
des surprises de l’amour. Placez seulement l’amour dans des circonstances qui relèvent à la dignité d’une passion tragique, ne
sont-ce pas toutes aussi surprises, et surprises terribles, de l’amour
que les tragédies de Racine ?
Je ne sais d’ailleurs, ni n’ai besoin de savoir, si Marivaux s’est proposé comme un modèle à suivre la tragédie de Racine. Je ne le crois pas, car n’ayant reçu qu’une première éducation, à ce qu’il paraît, fort incomplète, il s’est formé plus tard dans un petit