Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/726

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discuter tout d’abord les témoignages des contemporains et faire valoir des faits positifs contre les récits et les jugemens des historiens du XVIe siècle, non-seulement Estienne Pasquier, mais encore La Popelinière, Jean de Serres, d’Aubigné, Davila, Scévole de Sainte-Marthe et de Thou, dont il ne tient aucun compte, et qui cependant devaient être mieux informés des choses de leur temps que les plus savans mathématiciens de nos jours. C’est à ces organes si divers de la conscience publique que revient, avant moi, la responsabilité d’une accusation que j’ai trouvée partout et que je n’ai pas inventée.

À toutes ces autorités d’ailleurs vient s’ajouter le témoignage de Charpentier lui-même, se vantant dans une lettre à Lambin imprimée en 1569 d’avoir exercé pendant la troisième guerre civile les fonctions de dizainier, qui lui ont permis de « visiter avec soin les demeures des citoyens suspects » et adressant à ses ennemis personnels des menaces dont le sens est trop clair pour qu’on puisse s’y méprendre : « Cette terreur dont vous vous plaignez, dit-il, est un moyen légitime pour retenir tant d’hommes égarés… Quant aux proscriptions, à force d’en parler, prenez garde qu’on n’y ait recours. Plusieurs souhaiteraient que le roi fût plus chaud pour cette mesure, et, pour dire toute ma pensée, je ne suis pas éloigné de leur sentiment (non repugnante me). »

Le même homme loue les massacres du mois d’août 1572 dans la préface d’un livre publié six mois après. C’était un « caractère ferme, » dit M. Bertrand. Mais la fermeté poussée jusque-là est-elle une vertu ? J’avoue que j’aurais quelque scrupule à l’admettre.

Quoi qu’il en soit et pour finir, ce n’est pas Charpentier qui a péri à la Saint-Barthélemy, il y figurait comme capitaine de la milice bourgeoise, et ses amis l’ont félicité publiquement de la part active qu’il y avait prise. Celui qui y a succombé, c’est Ramus, et il me semble que si l’indignation est ici de mise, ce n’est pas contre la victime ou contre ses défenseurs.

Veuillez agréer, monsieur le directeur, l’assurance de ma considération la plus distinguée,


Ch. WADDINGTON.


La lettre de M. Waddington ne contient aucun argument qui ne soit développé déjà dans le livre très savant dont j’ai discuté les assertions. Elle n’apprendra rien à ceux des lecteurs de la Revue qui déjà le connaissent ; j’engage bien volontiers les autres à le lire.

Veuillez recevoir, monsieur le directeur, l’assurance de mes sentimens dévoués.


J. BERTRAND.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.