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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/783

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négliger les soins que l’on voulait donner à la prospérité des nations pour s’occuper des moyens de sauver leur existence menacée. On a dû ajourner à d’autres temps plusieurs des choses que l’on avait projetées, et en régler d’autres avec moins de maturité et de réflexion que l’on ne l’eût fait si on avait pu s’y livrer tout entier.

Le congrès étant ainsi obligé de laisser incomplets les travaux qu’il avait entrepris, quelques personnes parlèrent d’ajourner au temps où ces travaux pourraient être achevés la signature de l’acte qui devait les sanctionner.

Plusieurs cabinets agirent dans ce sens, peut-être avec le désir secret de tirer parti des événemens qui se préparent. J’aurais regardé cet ajournement comme un malheur très grand pour Votre Majesté, moins encore par l’incertitude qu’il aurait laissée sur les intentions des puissances, que par l’effet que doit avoir sur l’opinion en France un acte qui intéresse à un si haut point l’Europe entière et dans lequel Votre Majesté paraît, malgré les circonstances actuelles, comme l’une des parties principales. J’ai donc dû faire tout ce qui pouvait dépendre de moi pour qu’il fût signé, et je m’estime heureux que l’on s’y soit enfin décidé.

La considération que devait avoir le gouvernement de Votre Majesté dans les cours étrangères ne pouvait être complète qu’en faisant obtenir à ses sujets celle qui naturellement appartient aux membres d’une grande nation et que la crainte que les Français avaient inspirée leur avait fait perdre[1]. Depuis le mois de décembre 1814, il n’est pas venu à Vienne un seul Français, quelque affaire qui l’y ait amené, qui n’y ait été traité avec des égards particuliers, et je puis dire à Votre Majesté que le 7 mars 1815, jour où l’on a appris l’arrivée de Buonaparte en France, la qualité de Français était devenue dans cette ville un titre à la bienveillance. Je sais tout le prix que Votre Majesté mettait à cette grande réconciliation, et je suis heureux de pouvoir lui dire que ses vœux à cet égard avaient été complètement remplis.

Je prie Votre Majesté de me permettre de lui faire connaître toute la part qu’ont eue au succès des négociations M. le duc de Dalberg, M. le comte de La Tour du Pin et M. le comte de Noailles, qu’elle m’avait adjoints en qualité de ses ambassadeurs, et M. de La Besnardière, conseiller d’état, qui m’avait accompagné à Vienne. Ils n’ont pas seulement été utiles par leurs travaux dans les différentes commissions auxquelles ils ont été attachés, mais ils l’ont

  1. « La société d’amateurs qui doit jouer devant les souverains, sur un théâtre particulier, ne prépare que des pièces de Racine et de Molière. Cette prérogative de la langue française est naturellement un scandale aux yeux de quelques Allemands, qui voudraient qu’on traitât les affaires du congrès en allemand. »
    (Moniteur universel du 30 juin 1814, correspondance de Vienne.)