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PINDARE.

la ville récemment fondée par Hiéron, est consacrée à Jupiter, les cités rhodiennes au Soleil ; Orchomène honore particulièrement les Grâces, Égine les Éacides, car avec les dieux il y a les héros, héros fondateurs et éponymes, héros ancêtres des nobles familles auxquelles appartiennent les athlètes couronnés à Delphes ou à Olympie. C’est ainsi que chaque ville a son monde divin et mythologique, dans lequel elle vit depuis qu’elle est née, dont elle ne sépare aucun de ses souvenirs, aucun de ses actes, que des sacrifices journaliers, de nombreuses fêtes représentent sans cesse à son imagination. Elle croit que ces êtres supérieurs la soutiennent de leur présence tant qu’elle existe, l’abandonnent si elle succombe, tant sont puissans les liens qui l’unissent et la confondent presque avec ses dieux.

Il est vrai qu’en général l’expression de cette foi dans l’action présente de la divinité n’est pas enthousiaste. Les Grecs n’ont rien qui soit comparable aux hymnes juifs, par exemple au chant de Moïse après le passage de la mer Rouge. « Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges ; il est devenu mon sauveur… Le Seigneur a paru comme un guerrier… Il a jeté dans la mer les chars de Pharaon et de son armée… Votre droite, Seigneur s’est signalée… Vous avez répandu votre souffle, et la mer les a enveloppés ; ils ont été submergés par la violence des eaux et sont tombés dans l’abîme comme un plomb… Qui d’entre les forts est semblable à vous, Seigneur ?… Que s’élancent (sur nos ennemis) la peur et l’épouvante par la puissance de votre bras ; qu’ils deviennent immobiles comme la pierre pendant que passera ton peuple, ô Seigneur… » et le reste. On ne voit ici que Dieu et sa grandeur, et la foi se répand dans une glorification exaltée. Le Grec ne disparaît pas ainsi devant la divinité ; ce qui le caractérise, au contraire et le distingue nettement des grands peuples orientaux, c’est l’énergie de son activité propre, même sous la main de ses maîtres suprêmes. Cependant il les a constamment près de lui, leur adresse de continuelles invocations, et les croit mêlés à toute son histoire et à toutes ses actions.

Qu’est-ce donc, après cela, que son patriotisme dans les momens du péril ou de gloire ? Sans doute toutes ces belles passions connues des modernes, l’attachement au sol, l’ardeur de la lutte et du dévoûment, s’agiteront dans les cœurs ; le succès fera naître cette noble forme de l’orgueil qui ne s’enferme pas dans une émotion égoïste, mais se répand au dehors et rapproche chacun de tous par une glorieuse solidarité, où il se sent encore uni au passé et à l’avenir, aux ancêtres et à la postérité. Mais ce ne sera pas tout, ou plutôt ces sentimens prendront un caractère particulier, à la fois plus vif et plus profond. De ce rapprochement perpétuel avec