Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/808

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
802
REVUE DES DEUX MONDES.


II.

La religion et la morale donnent lieu dans Pindare à d’intéressantes études. C’est là surtout, nous l’avons dit ailleurs nous-même[1], ce qui fait sa grandeur et son caractère. M. Croiset y a trouvé la matière d’un travail étendu ; il y fait une analyse approfondie des idées et des sentimens dont l’ensemble forme ce qu’il appelle d’un nom un peu abstrait l’esprit de la poésie pindarique, voulant sans doute désigner ainsi le fond personnel du poète, qu’il importe, en effet, surtout de reconnaître. La poésie des fêtes triomphales avait ses lieux-communs, où il lui allait nécessairement puiser. Nous les indiquions tout à l’heure : ce sont, par exemple, les légendes des dieux auxquels sont consacrés les jeux agonistiques ou qu’honore particulièrement la patrie des vainqueurs ; ce sont les titres d’illustration de leur famille, ou ses origines mythologiques, ou ses succès de diverse nature, ou sa fortune et sa haute situation dans l’état. De quelle façon particulière Pindare a-t-il traité ces lieux-communs et comment y a-t-il imprimé sa marque ?

Ce qui nous frappe d’abord ici, c’est la réunion de deux mérites très distincts : un soin attentif et une grande liberté. Le second est évidemment le plus personnel. Cependant l’art de faire entrer cette abondance de souvenirs et de faits dans le tissu souple et fort de ses odes lui appartenait en propre. Il savait se mouvoir avec aisance dans le monde mythologique et y trouver, pour le mettre en valeur, la légende particulière qui illustrait son héros. C’est ainsi que, dans la vie Olympique, il insère la brillante et gracieuse histoire du devin Iamos, fils d’Évadné et d’Apollon, que l’on trouve, cinq jours après sa naissance, au milieu des buissons, sur la rive de l’Alphée, « ayant son corps délicat mollement baigné dans le doux rayonnement des violettes. » Le premier sans doute il avait tiré des sources obscures de la tradition orale, pour l’éclairer d’une lumière poétique, une légende chère à la famille du vainqueur, qui prétendait se rattacher aux Iamides. C’est une des bonnes remarques dont est rempli le chapitre de M. Croiset sur cette question.

Et il ne faut pas croire que, dans une matière si délicate, il soit toujours facile de démêler la vérité ni de la dire dans la juste mesure. M. Croiset lui-même ne se flatterait pas d’y avoir toujours réussi ni d’avoir toujours nettement distingué la part d’invention du poète. Suffit-il de dire, par exemple, que Pindare raconta le premier, dans

  1. Le Sentiment religieux en Grèce d’Homère à Eschyle, 2e édition, pages 263 et suivantes.