Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/815

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
809
PINDARE.

en regard des déclarations si claires que nous lisons dans des pièces complètes, d’autant plus que le caractère personnel de Pindare éclate partout dans ses compositions. Enfin nous admettons sans aucun effort que cette noble nature, que sa vie et le travail manifeste de sa pensée ne permettent pas d’enfermer dans le cercle étroit de sa cité natale, a pu concilier, malgré les circonstances, un amour sincère pour sa patrie avec une émotion réelle causée par le péril de la Grèce et par sa glorieuse délivrance. Il a éloquemment exprimé ces deux ordres de sentimens, et cela nous suffit pour le croire, sans consentir à effacer sur un trop faible indice cette belle image qu’il a lui-même imprimée dans notre esprit par l’ensemble de ses chants.


III.

S’il n’est pas facile de définir dans les odes de Pindare le fonds personnel d’idées et de sentimens qui forme comme la trame de ce brillant tissu, il l’est encore moins d’y déterminer et d’y juger la question d’art. Qu’est-ce chez lui que la composition ? Qu’est-ce que le style ? Notre éducation littéraire nous a peu préparés à le comprendre. Nos étonnemens et nos incertitudes ne diffèrent pas beaucoup de ce qu’éprouverait un Parisien nourri dans l’admiration de la colonnade du Louvre, s’il se trouvait tout à coup en présence des hardiesses d’architecture et de couleur des monumens indiens ou chinois ; et cependant il s’agit de l’art grec.

J’ai déjà indiqué ce qui dans la composition déconcerte le plus les modernes, cette apparence d’incohérence et de disproportion, ces brusques changemens de ton et d’allure ; enfin ce qu’on a appelé le désordre pindarique. Les beaux détails abondent ; l’ensemble trouble plus qu’il ne satisfait, parce qu’il n’y a pas égalité ni continuité d’impression, parce qu’après un magnifique mouvement, un trait sublime, vient tout à coup une sentence de morale vulgaire, une réflexion du poète, parce que souvent le lecteur ne comprend pas. Un maître dont j’aime à me rappeler les leçons, M. Havet, faisait à ce sujet une remarque ingénieuse, c’est qu’on admirerait plus Pindare si l’on n’avait de lui que des fragmens. Ces brillantes expressions, ces grands élans de poésie, isolés de ce qui les entoure, nous feraient supposer tout autre chose et nous raviraient. Le point sur lequel s’est le plus arrêtée la critique, surtout au xviie et au xviiie siècles, c’est ce qu’on appelait les digressions, c’est-à-dire les récits mythologiques, substitués, pensait-on, aux louanges d’un athlète obscur, matière infertile et petite, et venant remplir le vide du sujet. On pourrait remarquer que tous les héros des odes de Pindare ne sont pas obscurs et que, si l’histoire n’a pas