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PINDARE.

poète rappelle les légendes des Emménides, ancêtres du tyran d’Agrigente, qui font remonter leur origine jusqu’à Cadmus. De même aussi, il semble naturel que les exploits et les aventures des Éacides défraient les nombreuses pièces où sont célébrés des vainqueurs éginètes. Mais on ne distingue pas toujours aussi clairement la raison qui détermine l’usage de la matière mythologique. En quoi, par exemple, une victoire pythique remportée par un Thébain autorise-t-elle le poète à s’étendre sur les amours adultères de Clytemnestre et sur le meurtre d’Agamemnon ? Ou bien encore que viennent faire dans les éloges d’Hiéron les mythes d’Ixion et de Coronis ? Dans le premier cas, le souvenir de l’hospitalité qu’Oreste a trouvée chez le Phocidien Pylade et de la protection du dieu expiateur de Delphes ne suffit pas pour établir un lien satisfaisant. Dans les deux autres, en cherchant bien, on découvrirait peut-être que ces légendes thessaliennes se rattachent à une religion qu’un des ancêtres d’Hiéron avait apportée à Gela de la petite île carienne de Télos. Le rapport ne serait pas non plus bien direct.

Il n’est donc pas toujours aisé d’appliquer la loi qui subordonne l’emploi des mythes aux conditions générales du sujet ; mais voici de plus grandes difficultés. Pourquoi, dans le nombre considérable des mythes qui se rapportent à son sujet, Pindare prend-il l’un plutôt que les autres ? Pourquoi lui arrive-t-il souvent, en outre, de toucher à des mythes secondaires, dont le rapport avec le sujet est moins sensible ? Pourquoi, dans le mythe qu’il a choisi pour thème principal, telle partie est-elle mise en lumière et telle autre laissée dans l’ombre, sans souci, semble-t-il, de la proportion naturelle du récit ? Ainsi pourquoi, dans la ire Olympique, où est inséré le mythe de Pelops, ces développemens sur les crimes et la punition de Tantale ? Ou bien pourquoi, dans la ive Pythique, les magnifiques récits sur Jason s’interrompent-ils tout d’un coup ? Pourquoi certaines comparaisons et, dans ces comparaisons, certains détails qui ressortent plus que le reste ? Pourquoi encore ces maximes morales, qui ont évidemment un sens plus précis que les sentences des chœurs tragiques ? À toutes ces questions convient une même réponse : c’est que sans nul doute Pindare est plein d’allusions et même d’allégories ; mais comment les reconnaître et les interpréter ? À son public grec le poète disait : « Use maintenant de la sagacité d’Œdipe. » Il lui proposait donc des énigmes : et nous, comment ferons-nous pour deviner, nous qui ne sommes pas au courant, nous qui n’avons ni les mêmes habitudes, ni le même tour, ni la même souplesse d’esprit ? nous, qui le plus souvent sommes réduits à déterminer par hypothèse l’objet inconnu d’une allusion ?

Aussi il faut voir à quels efforts se livrent les interprètes modernes, comme ils s’entendent peu entre eux et où les emportent