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PINDARE.

cédés d’interprétation. « Il se sert des idées et des paroles comme un musicien se sert des notes ; il en compose une mélodie d’une espèce particulière, d’où sa pensée fondamentale se dégage, en dehors même de toute énonciation directe, par le seul mouvement de l’ensemble. » Il y a beaucoup de rapport entre une idée musicale et une idée lyrique.

On comprend peut-être maintenant pourquoi l’expression longtemps consacrée de désordre pindarique trompe sur le point de vue où il convient de se placer pour juger Pindare. L’ordre, chez les Grecs du vie et du ve siècles avant Jésus-Christ, ne s’entendait pas de même qu’aujourd’hui chez nous. L’éducation de notre goût s’est faite sous la double influence de nos deux derniers siècles et des écoles de l’antiquité. Les préceptes de ces écoles, comme les lois auxquelles ont obéi les plus purs génies du siècle de Louis XIV, sont dictés par ce qu’ils appelaient la raison, c’est-à-dire par un sentiment supérieur de l’enchaînement logique des pensées et de leur convenance avec le sujet. Le travail de réflexion qui a été nécessaire pour en arriver là se rattache particulièrement au développement de la prose et surtout aux laborieuses études dont l’éloquence fut l’objet pendant des siècles dans les écoles de la Grèce et de Rome. C’est en ce sens qu’il est vrai de dire que les chefs-d’œuvre de la littérature française ont un caractère oratoire. Mais, avec Pindare, il ne s’agit ni de prose ni d’éloquence pratique ou savante ; il s’agit de poésie, et cela chez une nation encore toute poétique : la prose commençait à peine à construire ses premières phrases, sèches et gênées, quand depuis quatre cents ans et plus, tous les Grecs étaient faits aux formes riches et souples, vives et brillantes de la poésie. Du temps de Pindare, c’est à peine s’ils en concevaient d’autres, et à coup sûr nul d’entre eux ne se serait avisé des exigences méthodiques de l’esprit moderne.

Du reste, les véritable œuvres d’art, même en littérature, ne se modèlent pas sur des types définis de composition régulière. Prenez le discours de Démosthène sur la Couronne ou une oraison funèbre de Bossuet, ou un ouvrage dramatique de premier ordre : une analyse méthodique ne nous en fera saisir qu’imparfaitement l’intime et vivante unité. Celui qui se bornerait à étudier dans Eschyle, ou même dans Sophocle, le développement suivi des caractères et des passions et l’enchaînement des différentes scènes, ne comprendrait qu’à demi la composition d’un drame grec. Le principal est dans la succession et le rapport des effets, dans la distribution de la lumière et des ombres. De même, dans ces petites pièces, dont chacune, par le choix des élémens comme par la couleur générale, avait son caractère propre, la loi suprême observée par Pindare n’était pas de marquer les transitions et la suite appa-