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les séditions européennes, s’attaquant aux fondemens de la société par les utopies qu’elle déchaînait. Le socialisme sorti tout armé de la crise anarchique de février, c’était pour lui l’ennemi. Il le poursuivait de sa redoutable verve de bon sens, un peu théoriquement dans son ouvrage de philosophie politique, le livre sur la Propriété, et d’une façon bien plus directe, bien plus efficace, à la tribune par ses discours de combat. Il soumettait à une inexorable analyse tous les systèmes de réforme sociale, — et le droit au travail qui était près de se glisser dans la constitution, et la banque du peuple de M. Proudhon, et les rêves confus de M. Pierre Leroux, et l’association chimérique de M. Louis Blanc, et les assignats qui étaient le dernier mot de la science financière de M. Ledru-Rollin. Il saisissait corps à corps les novateurs en les mettant dans l’alternative de préciser leurs idées ou d’avouer leur impuissance, ajoutant aussitôt : « Le peuple souffre, dites-vous. Si vous avez autre chose que des généralités dangereuses et funestes, si vous avez un secret, un moyen pratique, vous seriez coupables de ne pas l’apporter à cette tribune, et nous vous écouterons... Au nom de la société en péril, je viens vous demander quels sont vos remèdes. Vous accusez l’ancienne économie politique, les anciens hommes d’état de n’avoir pas amélioré le sort du peuple. Je vous réplique en vous adressant toujours la même question : Quels sont vos moyens?.. Il n’y a rien de plus dangereux, au lendemain d’une révolution à la suite de laquelle le peuple, dont vous voulez améliorer le sort, mais dont vous flattez les passions, s’est emparé du pouvoir, il n’y a rien de plus dangereux que de lui dire qu’il y a quelque part un bien que de méchans détenteurs retiennent dans leurs mains et ne veulent pas lui accorder. Il faut être clair et positif, et, si l’on a des moyens, les apporter à cette tribune. » Et passant en revue tous ces prétendus moyens, il opposait aux utopies meurtrières et vaines les conditions invariables de toute société, — non pas de l’ancien régime, — de la société de 1789, fondée sur la propriété, la liberté du travail et la concurrence des industries.

Ce que M. Thiers combattait aussi de toute son énergie, c’était l’esprit de propagande révolutionnaire, de subversion et d’aventure dans la politique extérieure. Non pas que la révolution de lévrier, sauf quelques échauffourées sans importance du côté de la Savoie et de la Belgique, eût paru impatiente de guerre et d’expansion au dehors. Elle avait été préservée de ces tentations et par ses propres difficultés intérieures et par la diplomatie poétiquement modératrice de Lamartine, et après Lamartine, par la réserve de cet autre chef de la république, le général Cavaignac. Elle était restée incohérente et inactive en présence de l’Allemagne et de l’Italie en feu, ou du moins elle s’était bornée à des paroles, à des