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arrive à cette conclusion que, sans être entièrement à leur aise, les recteurs avaient en général de quoi vivre. Certes, nous n’allons pas jusqu’à prétendre, comme certains écrivains, qu’ils étaient au point de vue matériel aussi bien partagés que le sont aujourd’hui nos instituteurs ; mais nous ne croyons pas exagérer en constatant que leur sort avait été déjà bien amélioré, dans les dernières années de la monarchie.

Par contre, il semble difficile de ne pas admettre qu’au point de vue de la considération dont un gouvernement éclairé doit toujours entourer les instituteurs de la jeunesse, la condition des recteurs laissait fort à désirer. Sans en faire, comme on y tend aujourd’hui, une espèce de troisième pouvoir dans la commune en face du maire et du curé, il semble que l’ancien régime aurait pu les tenir dans une situation moins subalterne et surtout moins dépendante à l’égard du clergé. Dans les premiers temps, au moyen âge, il était tout naturel que l’église exerçât sur les grammairiens, comme on les appelait, une véritable dictature. L’enseignement rentrait dans son domaine ; nul ne le lui disputait, et pour cause. L’école n’était pour ainsi dire que le prolongement de la paroisse ou du monastère. Il fallait bien que le curé y fût tout-puissant, qu’il eût droit de justice et de surveillance sur les maîtres. Qui eût exercé ce pouvoir à sa place ? Mais qu’en plein XVIIIe siècle les recteurs fussent soumis à l’approbation diocésaine, qu’ils pussent être non-seulement inspectés, mais encore révoqués par les évêques, et cela sans appel, sans que le pouvoir civil, laïque, fût consulté, en un mot, que l’école fût encore sous la tutelle de l’église, il y avait là quelque chose de choquant et qui ne pouvait durer. L’anachronisme était manifeste. Aussi voyons-nous déjà, dans la première moitié du XVIIIe siècle, un grand nombre de maîtres et de communautés essayer de se soustraire au joug. Dans une visite pastorale de 1737, l’évêque de Bayonne en trouve plusieurs en défaut et est obligé de recourir au bras séculier, c’est-à-dire, dans l’espèce, au parlement de Navarre, qui rend un arrêt enjoignant aux délinquans de se mettre en règle[1]. « Quelque soin et quelque activité qu’apportât le bureau ou conseil épiscopal à l’exécution régulière des ordonnances du diocèse, dit M. Fayet, il constatait encore fréquemment que bien des maîtres étaient restés de longues années en exercice sans avoir demandé l’approbation épiscopale. » Cependant la loi était bien formelle. Nous venons de citer un arrêt du parlement de Navarre ; jusqu’à la révolution la jurisprudence demeure conforme à cet arrêt, témoin cet extrait du répertoire de Guyot publié en 1784 ;

  1. Vicomte Sérurier.