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influence; mais on y mit bon ordre : on composa pour le général et on réussit à lui faire débiter de petits discours que les journaux du parti retouchèrent de leur mieux et où les recommandations en faveur des républicains et de leur candidat devenaient de plus en plus nettes et pressantes. Comme le général est encore plus amoureux des ovations que du pouvoir et qu’on ne lui ménageait ni les arcs de triomphe, ni les illuminations, ni les feux d’artifice, comme les vieux soldats se pressaient autour de lui pour l’acclamer et l’escortaient en immenses processions, M. Grant prenait goût à cette tournée triomphale, et il en arriva à se prodiguer comme s’il se fût agi de lui-même. Les démocrates alarmés essayèrent de faire une diversion : ils demandèrent au général Me Clellan un concours que celui-ci leur accorda de bonne grâce; mais Me Clellan est un esprit cultivé, et si ses discours élégans et diserts pouvaient être goûtés des gens instruits, ils étaient loin de produire sur les masses l’effet des courtes harangues du « plus grand guerrier du siècle. » Aussi, après la lutte, un journal démocratique a-t-il dit, non sans une pointe d’amertume, que c’était le général Grant qui avait été élu sous le nom de M. Garfield.


III.

Si utile que l’intervention de l’ancien président ait pu être au parti républicain, il faut néanmoins reconnaître que les démocrates ont dû surtout leur défaite à la maladresse avec laquelle ils ont alarmé les intérêts. La grande prospérité dont les États-Unis jouissaient depuis une année et qui se traduisait par l’activité de toutes les usines, par le progrès continu et rapide des recettes publiques, par le développement du commerce extérieur, ne prédisposait pas les masses populaires à souhaiter un changement dans la direction de la politique intérieure. Industriels, commerçans, banquiers, tous ceux qui avaient souffert pendant cinq années de la stagnation des affaires n’aspiraient qu’à réparer les pertes du passé et n’appréhendaient rien tant que de voir la politique arrêter l’élan rendu à l’activité nationale. Or les républicains étaient en droit de dire, et ils ne s’en faisaient pas faute, que l’arrivée des démocrates au pouvoir imprimerait à la direction des affaires publiques un changement dont il était impossible de prévoir les conséquences. En inscrivant en tête de leur programme l’établissement d’un tarif de douane calculé uniquement en vue du revenu, c’est-à-dire d’où les taxes purement protectrices devaient disparaître, les démocrates avaient cru ne sacrifier que le grand état de Pensylvanie et s’acquérir les sympathies de New-York; ils n’avaient pas pris garde que l’industrie