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seulement de l’opéra nouveau Gabrielle Krauss et vous verrez ce que deviendra cette musique et ce qui vous restera de cette fameuse romance intercalée dans le duo des deux femmes au troisième acte. Au théâtre, c’est quelque chose; au piano, ce n’est rien, et l’illusion, vous pouvez m’en croire, n’est point lente à s’évanouir, elle tombe dès la première mesure, — une quarte diminuée, — dont la grande charmeresse, avec son goût parfait, réussit à déguiser la vulgarité et qui se montre alors dans le simple appareil d’une de ces mélodies que soupire Jenny l’ouvrière. On connaît cette réponse légendaire des directeurs de théâtre aux jeunes auteurs en leur rendant leurs manuscrits: « C’est plein de talent, mais il n’y a pas de pièce. » Ce mot s’applique admirablement aux ouvrages dramatiques de M. Gounod; vous trouverez là, dans des encadremens de feuillage et d’or, toutes les poésies de la romance : le vallon, le soir, les étoiles, toutes les harmonies, religieuses, pastorales et sidérales; c’est en effet plein de talent, mais il n’y a pas d’opéra; le caractère de cette musique est de manquer de forme, de type; elle est en quelque sorte fluide, point plastique, et par là se refuse à l’étude des passions autant qu’elle excelle à chanter le charme mystérieux de la solitude au fond des bois.

M. Gounod n’est point ce qu’on appelle un génie, mais nul mieux que lui ne réussit à mettre en œuvre le génie des autres, à faire ce que Liszt maniant, pétrissant les idées de Schubert, de Bellini, de Beethoven, intitulait jadis des «transcriptions.» Il va d’Auber à Richard Wagner en passant par Weber et Meyerbeer et stationnant devant l’orchestre de Verdi, qui pour le moment l’a médusé. Tous les dieux, demi-dieux et quarts de dieu qu’il rencontre deviennent aussitôt l’objet de ses dévotions et vous vous récitez involontairement les jolis vers de Musset, un autre sceptique, celui-là, mais dans son art du moins un vrai croyant :

Vous me demanderez si je suis catholique.
Oui. — J’aime fort aussi les dieux Lath et Nésu.
Tartak et Pimpocan me semblent sans réplique.
Que dites-vous encor de Parabavastu?
J’aime Bidi. — Khoda me paraît un bon sire,
Et quant à Kichatan, je n’ai rien à lui dire.


Il ne suffit pas de prendre le premier modèle venu et de le reproduire, il faut marquer ses personnages de l’empreinte typique: doña Anna, Fidelio, le Figaro de Rossini, sa Desdemona (au troisième acte), Valentine, Bertram, Agathe (du Freischütz), Euryanthe, Guillaume Tell, ont cette empreinte des créations destinées à vivre et à survivre, mais ce Ben-Saïd, quel est-il ? que sont cette Hermosa, cette Xaïma ? que