importance est cette œuvre et que c’est bien parmi les vraiment grands poètes qu’il faut ranger Alfred de Musset.
Ce n’est que tout récemment que le vaste public, le public mêlé, de tout âge et de toute condition, est arrivé à comprendre cette signification du nom d’Alfred de Musset ; mais dès la première heure, les jeunes gens ne s’y trompèrent pas, ils reconnurent d’emblée leur poète et le sacrèrent comme tel. La carrière d’Alfred de Musset présente un phénomène d’ordre fort rare en tous temps, et unique du nôtre, c’est qu’il était depuis longues années en possession du public le plus vibrant et le mieux fait pour pousser la gloire alors qu’on ignorait réellement s’il était connu seulement d’un petit nombre et qu’on lui marchandait une célébrité qu’il avait déjà conquise et dont il ne soupçonnait lui-même ni l’importance ni l’étendue. Lorsqu’au retour de Russie de Mme Allan, la Comédie-Française représenta le Caprice) ce fut comme une révélation pour le gros public de ce distrait Paris, mais il y avait plus de quinze ans que celui des jeunes gens, non-seulement à Paris mais dans la France entière, allait répétant qu’Alfred de Musset était le poète vivant par excellence et se compromettait même bravement à l’occasion pour vaincre les résistances des intelligences récalcitrantes. La renommée d’Alfred de Musset fut donc en toute réalité une création de la jeunesse ; ni l’opinion des mandarins qui distribuent la gloire, ni la presse, ni même les querelles d’école n’y furent pour rien ; elle s’est faite en toute exactitude comme se faisaient les renommées avant l’invention de l’art de Gutenberg, par la propagande orale. Bien des années se sont écoulées depuis lors, plus de deux fois ce que Tacite appelle un long espace de la vie humaine, et il devient déjà difficile à qui n’en a pas été témoin de comprendre la spontanéité et la ferveur de ce culte. Trois générations se succédèrent qui se communiquèrent l’une à l’autre la contagion de leur enthousiasme. Les aînés l’inoculèrent aux plus jeunes qui, devenus aînés à leur tour, la transmirent à ceux qui suivaient. C’était comme une sorte de religion qu’on allait prêchant avec un zèle qui bravait même parfois la discrétion et la prudence ; nous pourrions entrer à cet égard dans d’assez curieux détails. Les plus sages n’étaient pas eux-mêmes exempts de ce fanatisme qui faisait de nous autant de séides de ce Mahomet poétique. Et cette propagande était toujours sûre du succès, ce qui veut dire que tout lecteur nouveau qu’on créait à Musset parmi les jeunes gens était infailliblement un admirateur de plus et devenait à son tour un des porte-voix de sa célébrité. Pendant ce temps-là, les vieux classiques qui l’ignoraient ne voyaient en lui que l’auteur de quelques petits vers légers ; les romantiques, que sa semi-défection