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le clairon à peine approché de ses lèvres. N’était-il pas le doux coureur d’avril ? Par un tour de politesse un peu décourageant, on lui redemanda sa chanson ou quelque autre pareille : avril, pour lui, devait durer toute l’année, puis toute l’année encore, jusqu’à ce qu’il n’eût plus de voix ; la Guerre de cent ans ne fut pas représentée. Sans se fâcher, il écrivit Madame de Maintenon, — ou plutôt le Psautier, c’est le premier titre de la pièce : — après six années, une heureuse conjonction d’astres amène cette pièce au théâtre, et l’on s’étonne qu’elle ait si longtemps attendu.

Madame de Maintenon est un drame historique, — un drame historique qui ne se moque pas de l’histoire, — où s’agitent des personnages, les uns réels, les autres imaginés, mais tous humains et d’une époque certaine, — chacun à sa place, mais éclairé selon les lois de la lumière naturelle, et non par le caprice d’un jour d’atelier ; ajoutez que le fond, où se détachent ces figures, n’est pas une toile noire tendue derrière elles, ni un réflecteur posé par la fantaisie du peintre, mais qu’il est traité, à son plan, avec le même souci de vérité que ces figures elles-mêmes : il n’en faut pas davantage pour étonner au théâtre et faire hésiter le jugement. L’auteur s’est proposé de rendre la variété de la vie : aussitôt il encourt le reproche de l’affaiblir ; pour avoir, selon ses forces, multiplié l’intérêt, il semble d’abord qu’il l’ait divisé.

Assez d’autres ont raconté la pièce pour que je sois à présent dispensé de cette tâche. De la fable imaginée par M. François Coppée je ne retiendrai que le nécessaire pour expliquer ce reproche : « L’intérêt, a-t-on dit, est tout au moins double, et cette duplicité met le spectateur en suspens. »

La veille du jour où Mme de Maintenon doit épouser Louis XIV, — le poète feint que ce soit après la révocation de redit de Nantes, — Louvois, déterminé à empêcher ce mariage, surprend, parmi les chefs d’un complot protestant, un jeune homme, Samuel de Méran, que la marquise protège en souvenir d’un ami d’enfance, d’un fiancé pauvre, mort après une longue absence sur la terre d’Amérique. Samuel est ne vingt ans après son frère Antoine. Louvois, de bonne foi, le donne à Louis XIV pour un fils adultérin d’Antoine et de la Scarron. Mme de Maintenon demande au roi la grâce de Samuel, condamné à mort. Le roi lui commande de choisir entre cette grâce et son alliance : « Si vous le sauvez, je tiens qu’il est votre fils : ne reparaissez plus devant moi. Si vous le laissez mourir, je vous crois innocente : demain vous serez ma femme. » Mais Samuel de Méran, soupçonné de trahison par ses complices, refuse la grâce offerte : Françoise d’Aubigné sera la femme de Louis le Grand.

« Eh bien ! a-t-on dit, voulez-vous que notre esprit s’attache aux conséquences dramatiques de la révocation de l’édit de Nantes ? ou bien à l’aventure de Mme de Maintenon mise en demeure par Louis XIV, la veilla de son mariage, de sacrifier son ambition à un