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guère, sans mutiler on froisser cette invisible héroïne, restreindre ni resserrer l’action davantage : l’intérêt, prenez-y garde, n’est pas rompu, mais multiple, ainsi qu’il doit être dans une composition de ce genre. Après le prologue, où se montre un coin de la ville, la cour nous apparaît au premier acte, au troisième, au quatrième ; le second nous introduit dans le secret des huguenots. Çà et là, le dialogue rappelle, par le tour et le mouvement, ce début du deuxième acte de Marion Delorme, où de jeunes gentilshommes échangent, sur la place de Blois, des nouvelles et de gais devis ; le quatrième acte, le plus dramatique de tous, paraît d’abord une illustration de Saint-Simon.

Le poète a bien pris, comme je l’ai noté, la licence de feindre que la révocation de l’édit de Nantes ait précédé d’un mois le mariage. secret : c’est retarder ce mariage de dix-huit mois environ. Mais le mal n’est pas grand d’avancer ou de reculer un événement, pourvu que soit respectée la vérité des caractères. Or cette vérité-la, qui est la plus précieuse, M. Coppée l’a gardée. Sa Maintenon est la vraie, ou bien peu s’en faut ; ses personnages inventés sont tous vraisemblables. À peine si sur un point on pourrait le prendre en faute ; mais la faute est si belle qu’elle est d’abord absoute. J’entends parler de l’éloquent anachronisme que commet au second acte Samuel de Méran, lorsque, en plein synode de députés huguenots, il repousse avec indignation l’alliance du stathouder. Le patriotisme alors n’étais pas si puissant, ou du moins ne ressemblait guère à ce qu’il est aujourd’hui ; et Condé lui-même, que Samuel, dans son discours, cite parmi nos héros, Condé n’a pas eu d’horreur pour l’alliance de l’Espagne. Mais quoi ! prenez que Samuel est une exception dans son temps, — il y paraît, puisque, sans lui, le synode acceptait les propositions de l’étranger ; — cette clause admise, vous applaudirez sans scrupule la noble harangue du jeune huguenot.

Noble, ai-je dit, et je parle surtout du style. C’est par le style que M. Coppée triomphe ; et je ne vante pas seulement sa versification, mais sa langue. Bien d’autres, aujourd’hui, sont habiles à ouvrer le vers : quel autre a cette sûreté, cette fermeté du verbe ? M. Coppée, avait déjà la grâce, le tour aimable et prestigieux de la phrase ; il avait, à l’occasion, l’éloquence et la force : mais cette netteté, cette franchise, cette précision de la langue, s’il l’atteignait souvent, la gardait-il toujours ? Sa poésie, cette fois, a la probité de la belle prose.

Pourquoi faut-il qu’il l’ait confiée, cette poésie, à des lèvres habituées à de moins nobles messages ? Mlle Fargueil est une actrice d’une rare intelligence : elle compose avec art son délicat personnage, elle est, pour l’esprit, une Maintenon achevée ; mais sa bouche n’est pas faite au langage des dieux. Que de soupirs elle ajoute, qui rompent la mesure, et surtout que d’e muets elle mange ! Mlle Fargueil, en ce